Heli

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Drame rugueux dans la violence des cartels mexicains, prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes.

En plein jour, un pick-up roule le long d’une route mexicaine. A l’arrière, deux corps ensanglantés, pas tout à fait morts. Le plan est long, sans coupe, jusqu’à ce que les conducteurs s’arrêtent sur le bas-côté, descendent l’un des corps, lui passent une corde au cou, puis le laissent pendre d’un pont. Qui a vu les deux précédents longs métrages d’Amat Escalante ne s’étonnera pas de la brutalité de la scène : le cinéaste mexicain aime les images fortes, en forme de claque. Sangre (2006) et Los Bastardos (2009) dessinaient déjà un goût pour la radicalité et une tendance à forcer le regard sur un environnement violent et loin de toute rédemption. Il faut aimer, d’autant plus qu’Escalante fait durer ses plans, où le moindre micro-événement installe une inquiétude persistante. Fixe la plupart du temps, le cadre suggère que le pire risque fort d’arriver à n’importe quel moment. Quand c’est le cas, ce n’est pas une surprise, le choc n’en est pas moins rude – c’est le talent du réalisateur. Et son Heli, prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, accumule les tensions au point de menacer d’exploser.

Heli, c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui vit avec son père, sa jeune femme et le bébé qu’ils viennent d’avoir, et sa petite soeur Estela – on l’apprend quand une employée des services de recensement frappe à la porte de la maison en tôle que la famille occupe. Estela a douze ans tout juste, elle est amoureuse de Beto, 17 ans, jeune policier en formation. Entre deux séances musclées d’entraînement, il cache chez Estela de la cocaïne détournée. Quand Heli le découvre, il jette la drogue, jetant tout le monde dans un engrenage de violence face à des trafiquants prêts à tout pour récupérer leur dû. Le récit est en fait le flashback qui suit la première séquence, et des images crues, il y en a beaucoup dans Heli, tabassage à la batte de baseball et testicules brûlées au chalumeau en tête. La violence est de tous les plans, comme pour dire que c’est ainsi que les gens vivent au Mexique, boule au ventre et anxiété de la possibilité d’un déferlement. L’argument est un peu limité, mais c’est l’une des réalités du pays qu’Escalante veut montrer – et ce depuis Sangre -, quitte à frôler la complaisance en mettant si volontairement la tête dedans.

 

On sent pourtant chez le cinéaste, ici du moins, une volonté de témoigner plus que de choquer, une recherche de “vérité” fatalement vouée à l’échec mais qui le dédouane d’une monstration pure et simple. Aux images violentes, il oppose régulièrement des moments plus doux, dans une alternance perpétuelle entre le “dans ta face” et la suggestion. Surtout, sa mise en scène est si précise, si pensée que son cinéma, aussi millimétré soit-il, ne saurait être qu’affaire de démonstration. C’est d’ailleurs l’une des faiblesses d’Heli, souvent coincé entre son ambition formelle (images larges et fixes, plans séquences, souci très fort de la composition) et son motif, qui se prêterait parfois à plus d’imprévu et de souplesse. Il arrive que l’un et l’autre s’annulent, désamorçant paradoxalement les instants les plus ostensiblement trash. Il y a néanmoins des choses puissantes, et ce qu’Escalante perd en sobriété, il le gagne en efficacité, sur le terrain de la violence comme sur celui de l’intime. Deux scènes en témoignent : un long trajet en voiture qui n’en finit pas d’abord, aussi insoutenable que celui du Kinatay de Brillante Mendoza (2009) car on en devine l’issue tragique. La toute dernière ensuite, qu’on ne dévoilera pas mais qui bouleverse par son sens du détail et dit que le cinéaste sait aussi filmer la quiétude. Dans Heli, rien n’est épargné, mais tout est potentiellement illuminé.

Titre original : Heli

Réalisateur :

Acteurs : ,

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Durée : 105 mn


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