Les bons comptes font les bons amis
Dès le début du long métrage, largent fédère toutes les attentions, ou presque, comme il régit les rapports. Le champ lexical de la monnaie est omniprésent et ressort des bouches de lauberge des Goupi. Les « bons comptes font les bons amis » et si « Mes Sous » ne se rend pas à la gare pour aller chercher son fils (quil na pourtant pas vu depuis vingt-cinq ans), cest pour continuer à faire tourner lauberge…et celui ci nhésitera pas à sortir « LEmpereur » de son lit de mourant dans le seul but de lui faire désigner lendroit de la maison où serait caché un mystérieux magot familial. Ce rapport maladif à largent nest que lun des traits de latmosphère détraquée qui plane sous le toit des Goupi et infecte chaque membre de la famille. Lacariâtre « Tisane » perdra la vie avec la même brutalité qui lhabite, tandis que le déchiré « Tonkin » se perd dans un désespoir fiévreux. Il ny aura guère que le patibulaire et placide Mains rouges pour prendre du recul dans cette chronique paysanne amère, le seul par ailleurs détaché de la cupidité qui gangrène les autres. Jacques Becker ne cachait pas son intérêt pour les personnages dans la réalisation dun film et la riche galerie de rôles, portés par de belles performances d’acteurs, en témoigne.
Sombre champêtre
Au-delà de la caractérisation soignée des personnages, Goupi Mains rouges distille une concoction opaque et menaçante, ainsi cette séquence de nuit dans la gare lorsque Mains Rouges, dans sa veste noire, va à la rencontre de Monsieur, puis le retarde chez lui de manière inquiétante. Dans une campagne sombre et brumeuse, à l’instar de la belle scène d’ouverture, l’oeuvre prend alors des atours de film noir (inserts sur des objets après que l’Empereur tombe inanimé, comme pour déjà répartir les indices) et la seule séquence de tranquilité champêtre est la touchante discussion entre Muguet et Monsieur dans les prés, dans un début d’échange amoureux. L’image, comme les visages des deux personnages, paraît alors d’une limpidité lumineuse. A part cette scène, on est loin ici d’un doux portrait de la paysannerie française. Ainsi de cette succession de plans en plongée filmant un Tonkin jusqu’au boutiste, devenu fou et grimpant aux arbres au plus près du ciel…Tout en modifiant par moments ses registres (les dialogues à l’auberge, l’humour de l’Empereur), le film dépeint une famille en vase clos, entre les intérieurs de l’auberge, l’obscurité du soir et la trop violente clarté du jour, où chacun sort à sa façon du cadre, comme pour faire sentir un poisseux déréglement planant au-dessus d’eux comme une épée de Damoclès.