Il y a donc quelque chose d’un brin miraculeux dans le fait que le film de Sebastian Lelio (La Sagrada Familia, 2007) soit bien le petit feel-good movie escompté sans jamais se prendre les pieds dans les conventions du genre. Certaines scènes sont éculées, oui, mais elles font toujours le pas de côté nécessaire à leur réussite : quand Gloria allume un joint, c’est moins par amour de la transgression ou par jeunisme que par une volonté de ne plus avoir peur de “perdre le contrôle”. Car le film, s’il est bien une succession de saynètes de la vie quotidienne d’une femme de 58 ans, n’a pas peur d’une certaine cruauté. Que Gloria soit une femme opiniâtre n’empêche pas les déconvenues et les humiliations – elle est quittée deux fois par le même amant, dont l’une au cours d’un dîner d’anniversaire où elle avait pris sur elle de le présenter à sa famille. C’est dans cette veine défaitiste que le film éclôt vraiment, quand les petites joies qu’il déroule ne sont que les cache-misères d’une existence solitaire et parfois triste à pleurer (très belle idée du félin du voisin qui s’invite constamment chez elle, la condamnant à une vie de vieille dame à chats).

Par ailleurs, le cinéaste prend Gloria à un âge parfaitement ingrat, et d’ordinaire rarement traité à l’écran autrement qu’en personnage secondaire. Elle a 58 ans, déjà plus assez jeune mais clairement pas trop âgée, fin de décennie bâtarde où le choix, s’il existe, est cruellement restreint. Aucune condescendence ici, Gloria n’est pas plus une héroïne qu’elle n’est une victime. Lelio la filme de près et sous toutes ses coutures, aussi amoureux de son actrice (merveilleuse Paulina Garcia, star au Chili) que de son personnage. C’est une vraie chilienne, qui découvre son individualité dans un pays où le souvenir de la dictature est encore brûlant, chante des balades romantiques latino-américaines au volant de sa voiture, traverse Santiago sans s’émouvoir des manifestations étudiantes qui, présentes au second plan du cadre, secouent la capitale depuis des mois. On la voit faire l’amour (les séquences, superbes, rappellent le Septième Ciel de Andreas Dresen, 2008), se résigner à dire au revoir à sa fille, qui part s’installer en Suède, à l’entrée de l’aéroport. Elle n’a pas le droit de la suivre jusqu’au hall des départs, et la scène est significative de la manière dont elle est, déjà, mise à distance. Ca ne fait pas un film immense, mais un portrait de femme plus amer que doux, où la résilience se fait au gré des échecs avec la belle conscience que, de tout ce qui la blesse, Gloria ne mourra pourtant pas.