Glass

Article écrit par

Une histoire des origines.

« Il n’y a pas d’êtres humains complètements adultes. » Sandor Ferenczi

Glass s’ouvre et se ferme sur un générique émaillé de dessins de brisures de verre. La fragilité du matériau et sa malléabilité, comme ses propriétés coupantes, seront tout au long du film indissociables de ses enjeux et de ses personnages, le motif du verre prenant au sein de l’oeuvre tour à tour valeur de synecdoque, de démonstration esthétique, voire un sens littéral, à l’image d’Elijah Price (Samuel L.Jackson) homme surdoué atteint de la maladie dite des os de verre, et meurtrier orchestrateur des événements du récit, avec deux autres personnages eux aussi hors norme, et sur lesquels il exerce son influence : le schizophrène Kevin Wendell Crumb (qui fait cohabiter psychiquement 23 personnalités) et David Dunn (justicier à la force surnaturelle). Cette réunion d’êtres aussi dangereux que douloureusement inadaptés au monde s’avère vite moins une congrégation de « super-héros » (ou « super-méchants ») en pleine action, façon Marvel, qu’une nouvelle manière, pour M. Night Shyamalan, de mettre en scène les fissures de ces sujets traumatisés et, à travers eux, de réverbérer une perception du monde qui s’avère étrangement grossière et problématique, en dissonance avec la virtuosité de sa mise en scène, dans ce dernier volet d’une trilogie entamée avec Incassable (2000) puis le beau Split (2017).

Super-héros en hôpital psychiatrique

Rien n’a changé depuis Split pour Kevin, que l’on retrouve à l’ouverture de Glass dans les tréfonds d’une briqueterie sinistre où il a séquestré quatre pom-pom girls, s’adressant à elles dans l’habit de « Miss Patricia » l’une de ses identités, avant de se préparer à les assassiner au nom de « La Bête » sa personnalité la plus destructrice et criminelle. Empêché par David Dunn, ils entament un duel de taille avec leurs forces protubérantes avant d’être brutalement mis à terre et arrêtés par une police connivente d’une psychiatre mystérieusement spécialisée dans les êtres humains qui pensent être des super-héros. Voila d’entrée de jeu le propos qui fait voler en éclats toute attente d’héroïsme. Les deux individus atterrissent dans un hôpital psychiatrique dont le cinéaste marque l’isolement à travers plusieurs plans larges mélancoliques et froids. Bâtiment aux murs en béton armé, où ils rejoignent Elijah (déjà présent dans Incassable) qui y végète (ou plutôt fait semblent d’y végèter) en fauteuil roulant déjà depuis plusieurs années et où les multiples personnalités de Kevin sont disciplinées par des flashs d’électrochocs.

Les béances des personnages ne sont tout au long du film jamais aussi consistantes qu’à travers la mise en scène de Night Shyamalan, regorgeant d’idées formelles, de gros rapprochements de caméra sur ses personnages, de chausse-trappes visuels en tourbillons de plans ; à l’instar de ces séquences au son d’un minuteur dont on ressent chaque battement d’aiguille à travers une caméra qui tourne à 360°(cette scène de rencontre entre Elijah et David dans la cellule/chambre de l’établissement psychiatrique), comme un épileptique face à un néon au clignotement ininterrompu. Les cadres de l’image semblent se confronter en symétrie comme la géométrie des bouts de verre du générique, si bien que l’enfermement des trois hommes est vécu comme un continuum de reflets d’identités, aussi distincts soient les personnage, dans les flash-backs ou ellipses d’enfance réservés à chacun, et autour des multiples déclinaisons d’un même motif jusqu’à l’apparition de cette captivante tour de verre (dite tour d’Osaka) qui ne s’avèrera que pauvrement exploitée.

Faux miroitements

Car cette fausse bonne idée de la tour de verre qui vient alimenter la fin du récit traduit la partie décevante du long métrage : son écriture presque théorique, mais à gros traits, d’une ambiguïté problématique (qui pose la question douteuse vers sa fin d’un complot à l’oeuvre) et qui se révèle être la patte folle du film, là où Split, bien que de facture plus classique, atteignait grâce à son écriture narrative et ses acteurs des moments d’abysse vertigineux autour des impensés (les traumatismes de Casey et de Kevin) dont s’emparait le cinéaste. Le personnage de Casey (la saisissante présence de visage d’Anya Taylor Joy) est d’ailleurs ici réduit à un ersatz symbolique de son incarnation dans Split. A ce titre, le propos de plus en plus pernicieux du cinéaste au fur et à mesure du film, s’il n’emprisonne pas sa créativité, finit par entacher un peu sa beauté, sans que l’on puisse néanmoins se défaire de la fascination qu’exercent sur nous l’oeuvre et ses trois enfants cauchemardeux de comics.

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre : ,

Pays :

Durée : 122 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…