Fool Moon

Article écrit par

Fool Moon est certes une « comédie », mais surtout son propre négatif. Inclassable et drôle.

Étrange comme, malgré son absence globale de rythme, sa tendance à se reposer un peu complaisamment sur le potentiel comique de son drôle de casting, Fool Moon parvient plus d’une fois à atteindre son objectif : provoquer un rire nerveux, sans direction précise. S’appuyant sur la théorie de l’influence de la pleine lune sur le comportement humain, Jérôme Lhotsky se met au service de cette suspension ambiante de sens, cette manifestation d’états seconds. Nulle prétention à accéder à quelque « culte » ici, mais l’honnêteté de suivre point par point la désagrégation d’une petite communauté d’amis quadragénaires, le temps d’un week-end breton. Communauté d’anciens élèves de Sciences-Po, aujourd’hui installés dans des carrières politiques d’autant plus distinctes que matrices directes d’une soudaine propension à mettre enfin les pieds dans le plat, lâcher en une trouble impulsion le refoulé le plus immémorial.

Pour mener la barque, qui d’autre que Christophe Alévêque, comme on sait comique « engagé », pouvait aller aussi loin dans l’emportement soudain, la furie jusqu’au-boutiste du militant ? Le talent de ce dernier, sa signature comique, reposent essentiellement sur son art d’incarner une forme de mauvaise foi assumée, la transparence d’un refus sec du compromis. A l’effet comique se mêle ainsi le trouble d’un hermétisme souvent intrigant. Accompagné ici d’une assemblée de comédiens d’autant plus complémentaires que reflétant chacun un aspect particulier du paysage comique français (Armelle de Caméra Café, Bruno Salomone, Ged Marlon le moustachu, François Morel le Deschiens, Elise Larnicol des Robins des bois… Jessica de Sous le soleil, alias Tonya Kinzinger, Artus de Penguern de Grégoire Moulin et Christine Citti de Disco), son emploi consistera à s’ouvrir progressivement à l’adversité, se taire devant le délire d’autrui.

Le rire devient alors moins le résultat d’une accumulation de gags et de bons mots plus ou moins travaillés, que d’une perte de repères généralisée. Qui a dit quoi, où et quand ? Pourquoi la femme d’untel couche-t-elle avec mon mari ? Faut-il ajouter tel ingrédient à la pâte pour obtenir une crêpe traditionnelle ? Surtout : qu’y-a-t-il de si drôle dans tout ça ? A ces questions, nulle volonté de réponse, aucune prétention d’éclaircissement. Ce qui, lorsqu’il semble aussi évident qu’au fond personne (ni vous, ni moi) n’est très certain de savoir ce qu’il fait là, est finalement assez logique.

Titre original : Fool Moon

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 90 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…