Passion mais aussi simplicité et disponibilité pour chacun de la part des Thérouanne et de leur équipe, conférant au festival une atmosphère familiale et fraternelle. Fraternité concrète et main tendue notable du FICA aussi lorsqu’il organise en amont de l’événement – à l’initiative de Nicolas Carrez-Parmentelot, DGA du FICA – des projections spécifiques pour des pensionnaires de la Maison d’Arrêt de Vesoul ou encore pour des malades à l’hôpital. Parce que la culture doit être l’affaire de tous.
Quatre vingt-dix films furent donc au programme de cette 23ème édition. Nous rendrons compte ici de ceux qui nous ont marqué.
Après la tempête de Kore-eda Hirokazu
Après la tempête du Japonais Kore-eda Hirokazu, sélectionné en 2016 dans la catégorie "Un certain regard" à Cannes et projeté en avant-première pour la levée de rideau de cette édition de Vesoul, est de ceux-là. L’on y suit les pas d’un jeune homme confronté à ses désillusions. Son travail d’écrivain est en panne et il s’abîme dans une métier de détective privé qui ne lui permet pas de payer la pension alimentaire de son fils. Kore-eda ici nous séduit par le regard doux qu’il porte à ses personnages sans occulter pour autant, grâce à un certain humour en même temps qu’une attention distante, le tragique de la séparation, d’une existence qui ne trouve pas son chemin. Ce qui frappe chez le réalisateur japonais, c’est la poésie simple, qui parfois émerge discrètement du prosaïsme de son récit.
Compétition
La compétition des films de fiction présentait, elle, 9 films dont 8 premier films. Cette sélection composée presque entièrement de bizuths explique sans doute qu’elle nous ait semblé très moyenne cette année. Nous avons malgré tout été intéressés (à défaut d’être subjugués) d’abord par le premier long de l’Indien Shubhashish Bhutiani, Hotel Salvation. C’est l’histoire d’un vieil homme, Daya, qui, sentant sa dernière heure venir, décide d’aller s’installer dans un hôtel à Bénarès, ville sacrée de l’hindouisme, pour y attendre la mort. Le récit est fort, l’interprétation du vieil homme remarquable (Adil Hussain), mais le métrage vaut encore plus pour son aspect documentaire sur Bénarès, avec ses plans sur les ghâts plongeant dans le Gange ou la vision qu’il nous donne de l’endroit sur la rive où l’on brûle à ciel ouvert, sur des bûchers, les corps des défunts enveloppés dans un habit doré. Contre toute attente, Hotel Salvation n’est pas un film sur la mort mais au contraire sur un retour à la vie.
Ubuesque, totalitaire – plutôt que dureté -, pourraient être les adjectifs pour qualifier la situation que nous narre le Chinois Yao Tian avec 500M800M. Nous sommes en Chine, dans la Vallée des Trois Gorges. Des paysans d’un village en altitude sont sommés de quitter leurs maisons à cause de la construction d’un barrage. Hong Fen attend un deuxième enfant ; la loi l’y autorise puisqu’elle vit à plus de 800m d’altitude. En revanche, lorsqu’elle arrive dans son nouveau village plus bas, les autorités lui demande d’avorter puisque la loi interdit à une femme d’avoir un deuxième enfant à 500m d’altitude… 500M800M est un beau film, une plongée dans un village de la Chine profonde mais surtout une critique de la politique de l’enfant unique qui depuis son instauration il y a trente ans a privé le pays de 400 millions d’âmes…
500M800M – Yao Tian
Le tragique toujours mais cette fois en Irak avec The Dark Wind de Hussein Hassan. The Dark Wind relate l’attaque par DAESH de la communauté yazidie, dans la région du Kurdistan irakien, en 2014. Dans le film, des jeunes filles sont enlevées pour être revendues sur le marché des esclaves. Pero, belle jeune femme, est l’une d’elles. La grande qualité du film d’Hassan est de nous intéresser à un épisode récent de la guerre en Irak et surtout aux Yazidies, communauté persécutée depuis des siècles.
Du côté des documentaires, la compétition s’est avérée d’un bien meilleur niveau que pour les fictions. Bon niveau, moins d’ailleurs par la qualité artistique et la finition des films – parfois réalisés dans un temps très court -, que par l’originalité des sujets abordés et leur pertinence. En sorte que l’angle de certains thèmes choisis nous est apparu comme une porte d’entrée idéale afin de s’intéresser à un pays lointain et méconnu. Avec The Man who Built Cambodia, le Canadien Christopher Rompré nous fait découvrir le Cambodge et son histoire contemporaine par le biais de l’architecture en consacrant son film à Van Molyvann, l’architecte majeur du Cambodge au XXème siècle. Nous découvrons que l’homme, formé en France, y a bâti dans les années soixante – Norodom Sihanouk étant au pouvoir – de nombreux bâtiments au style si particulier inspiré par l’art khmer. Puis, dans les années 70, il fuit les Khmers rouges… Documentaire passionnant, le film de Rompré est une incursion saisissante dans l’histoire ô combien tragique du Cambodge contemporain.
Avec Un Intouchable parmi les morts, l’Indien Asil Rais filme un homme de la caste des Intouchables. Son travail : ramasser les cadavres abandonnés dans sa ville de Bangalore, puis les emmener à la morgue. Rais, en plus que de dénoncer l’aberration d’une société qui ne prend pas soin de ses morts, dresse le portrait d’un homme d’une grandeur d’âme magnifique.
Miss Philippines de Gaëlle Lefeuvre a quant à lui le sujet le plus étonnant de tous les documentaires. La cinéaste est allée aux Iles Féroé à la rencontre de Philippines qui ont quitté leur pays natal pour se marier aux antipodes de l’archipel du Pacifique avec des hommes de ces îles enneigées. L’explication tient dans le fait que les jeunes femmes des Féroé ont préféré, elles, prendre le large pour fuir l’ennui de leurs îles natales. Si bien que le déficit de femmes a poussé les mâles à aller chercher compagnes ailleurs. L’on apprend que les Philippines ont été choisies notamment parce qu’elles sont catholiques et donc ont plus de chance avec de s’entendre avec les hommes des Féroé. Nous suivons un couple, tout semble aller pour le mieux, mais l’on devine que le mal du pays est toujours présent, qu’un tel déracinement ne peut se faire sans problèmes – pour toujours. D’où le titre du documentaire, subtil jeu de mots, « Miss » signifiant à la fois mademoiselle et manquer. Gaëlle Lefeuvre nous offre avec ce film touchant l’occasion de s’étonner mais aussi de découvrir une île oubliée.
Des trésors
Mais si tout au long de ces dix jours nous avons pu prendre la mesure de la vitalité du cinéma asiatique avec les films de ces jeunes réalisateurs, le point de d’orgue de Vesoul a incontestablement résidé dans les sections consacrées aux cinémas sri lankais et géorgien. L’histoire tumultueuse de la Géorgie n’aura pas empêché ce petit pays avalé par l’URSS pendant 70 ans de pouvoir se prévaloir d’une identité nationale forte. Il en va de même pour son cinéma : à l’heure actuelle de nombreux cinéastes (souvent des femmes), fréquemment formés en Europe occidentale, reviennent tourner dans leur pays et relatent dans leurs films les difficultés de la société géorgienne. Pour revenir sur ce cinéma important les organisateurs ont choisi, entre beaucoup d’autres, de projeter L’Âne de Magdana, court métrage d’une heure d’un des maîtres du cinéma géorgien, Tenguiz Abouladzé (1924-1994). Sacré meilleur court-métrage à Cannes en 1956, ce film est un chef d’œuvre. Il relate les malheurs d’une pauvre paysanne et de ses enfants. On pense à Le Voleur de bicyclette (Vittorio De Sica, 1948) pour le néoréalisme, le noir et blanc lumineux, l’injustice…
En définitive, nous pouvons dire que cette année encore Vesoul a tenu toutes ses promesses et notamment celle qui finalement est sa raison d’être : ouvrir la porte de la découverte de pays
lointains et méconnus grâce au septième art à un public (30 000 festivaliers cette année) qui ne demande qu’à être émerveillé.
CYCLO D’OR
500M800M de Yao Tian (Chine)
GRAND PRIX DU JURY INTERNATIONAL
Being Born de Mohsen Abdolvahab (Iran)
PRIX DU JURY INTERNATIONAL
Going the distance de Harumoto Yujiro (Japon)
MENTION SPECIALE DU JURY INTERNATIONAL
Hiromi Hakogi dans Her Mother de Sato Yoshinori (Japon)
PRIX DU JURY NETPAC
Going the Distance de Harumoto Yujiro (Japon)
PRIX DE LA CRITIQUE
Hotel Salvation de Shubhashish Bhutiani (Inde)
PRIX DU JURY DES LYCEENS
The Dark Wind de Hussein Hassan (Irak)
PRIX EMILE GUIMET
Baby Beside Me de Son Tae-gyum (Corée du Sud)
Coup de coeur GUIMET
Going the Distance de Harumoto Yujiro (Japon)
PRIX INALCO
Emma (Mother) de Riri Riza (Indonésie)
Coup de coeur INALCO
500M800M de Yao Tian (Chine)
RIX DU JURY LYCEENS
The Dark Wind de Hussein Hassan (Irak)
RIX DU JURY JEUNES
Le cri interdit de Marjolaine Grappe & Christophe Barreyre (France/Chine)