Peut-être parce que depuis toutes ces années, le festival s’est bâti une réputation de dénicheur de bijoux, de talents en attente de confirmation, ou de phénomènes sur le point d’exploser (de Petits meurtres entre amis à Billy Elliott en passant par The Full Monty, les exemples ont été nombreux). Exigeante et équilibrée, la sélection dinardaise ne s’interdit pas depuis quelques années d’aller piocher quelques titres du côté du film de genre fantastique ou policier. Histoire de prouver, avec intelligence, que le cinéma anglais ne se résume pas aux drames sociaux de Ken Loach ou à la séduction distinguée de Hugh Grant.
Au palmarès figure également une comédie, plus « irish » que « british » et pour cause, il s’agit de L’Irlandais. Prix du public, le film de John Michael McDonagh (frère du réalisateur de Bons baisers de Bruges) sort le 21 décembre en France, et c’est tant mieux. Même s’il n’est pas exempt de défauts (un sacré ventre mou en milieu de métrage, des personnages secondaires pittoresques mais trop unidimensionnels, un montage qui tente de donner un côté branché à une intrigue finalement très old school), L’Irlandais vaut quand même le coup d’œil pour ses dialogues jubilatoires et son personnage principal : un flic irlandais mal embouché (Brendan Gleeson), qui malgré son racisme de façade, son aversion pour ses collègues de la ville et la bienséance ainsi que son penchant pour le dépouillement de cadavres et la fréquentation d’escort-girls, s’avère être un policier plutôt malin, improbable Columbo volant la vedette à l’agent du FBI d’usage (Don Cheadle), qui en d’autres mains, aurait sans doute été le héros « en terre d’étrangère » de l’histoire.
Le reste de la compétition, bien que moins marquant, recelait tout de même un petit plaisir coupable, une comédie romantique pas comme les autres, et pour cause : You instead (Rock’n’love lorsqu’il sortira chez nous…) a été tourné en à peine cinq jours lors du festival T in the Park, en Ecosse. Un chanteur à succès et une rockeuse qui en veut se retrouvent menottés l’un à l’autre : bien sûr, ils se haïssent. Bien sûr, ça ne va pas durer. Mais surprise, malgré son scénario convenu et un prétexte de départ un brin artificiel, le décor très original (les habitués des festivals rock vont à plusieurs reprises reconnaître des situations… familières), l’énergie bon enfant des acteurs souvent en semi-improvisation, ainsi qu’une bande-son de premier choix font plus d’une fois sourire et taper du pied. Pas un chef d’œuvre, mais beaucoup plus plaisant que l’autre film de David McKenzie (Hallam Foe) présenté en ouverture du festival, Perfect Sense, sorte de Blindness étendu à tous nos sens, qui promeut l’amour de son prochain comme remède à la fin du monde. La mayonnaise ne prend pas, c’est le moins qu’on puisse dire, et on regarde plus d’une fois sa montre durant cette interminable et parfois involontairement ridicule histoire d’amour entre Ewan McGregor et l’impudique Eva Green.
Bien plus remuant, le dyptique télévisuel This is England 86 avait tout d’un événement cinématographique. Suite directe du film coup de poing de Shane Meadows, cette mini-série en quatre épisodes (remontés en deux téléfilms) permet de retrouver, trois ans après, la bande d’amis réunie autour de Shaun (Thomas Turgoose, qui a bien grandi mais a gardé ce naturel bluffant devant la caméra). Télé oblige, l’intrigue n’est plus auto-centrée et joue davantage sur l’empilement de séquences montées en parallèle – du mariage raté entre Woody et Lol, au retour d’un père violeur en passant par la sortie de prison de Combo – que son prédécesseur. La puissance d’évocation du film est moindre, mais l’autre grand atout des œuvres de Shane Meadows étant ses acteurs, toujours incroyables, les retrouver au complet pendant trois heures aussi poignantes que maîtrisées fait rudement plaisir.
L’autre événement de Dinard, c’était la présence de John Hurt, immense acteur britannique aussi célébré pour son parcours théâtral (il a notamment débuté sa carrière en jouant du Harold Pinter, lui aussi « hommagé » cette année) que pour son travail pour le grand écran (plus de cent soixante-dix films et séries !). Si l’on passera sur la masterclass promise par le programme, qui s’est révélée être une non-interview laissant Hurt se dépatouiller avec des titres de sa filmographie lancés au débotté (« Alors Alien ? C’était comment ? »), il n’y avait en revanche rien à redire sur la sélection effectuée pour l’occasion. Balayant plusieurs décennies, celle-ci a permis de redécouvrir sur grand écran l’étonnant The Hit de Stephen Frears, cavale sanglante aux accents de western moderne, exercice de style brillant où se révèlent (outre Tim Roth, très juste en kid rouquin) le ton pince-sans-rire et le penchant de Frears pour des personnages dominés par leur instincts.
Quelques inédits ont été présentés, dont le drame Lou, et le thriller 44 Inch Chest. Un sacré casse-tête que ce dernier titre, écrit par le duo responsable de Sexy Beast. Sorte de Reservoir Dogs onirique peuplé de vieux gangsters interprétés par un casting quatre étoiles (Hurt donc, mais aussi Ray Winstone, Tom Wilkinson ou encore Ian McShane), 44 Inch Chest est un film en trompe-l’œil, où la série noire mafieuse attendue se révèle être une étude psychologisante et théâtrale d’un homme brisé par l’infidélité de sa femme, qui s’entoure (ou imagine ?) de ses amis pour décider du sort de l’amant imprudent. Comme dans le film de Tarantino, le langage est fleuri, mais l’œuvre est assez déceptive pour énerver ceux qui s’attendaient à un vrai polar « hard boiled ».
Difficile de tirer un bilan général précis après un tour d’horizon aussi rapide – les journées passent vite à Dinard ! Dans l’ensemble, la sélection des avant-premières paraissait bien faible comparée aux années précédentes. Mais la pertinence et l’utilité d’un festival comme Dinard n’est plus à prouver : comme pour un bon vin, il y a de bons et d’excellents crus, mais jamais on ne penserait à manquer une récolte ! A l’année prochaine, donc…