Et les lâches s’agenouillent… (Cowards Bend the Knee)

Article écrit par

Guy Maddin, demi des Maroons, l’équipe de hockey sur glace de Winnipeg, est en proie à des forces qu’il ne peut contrôler, des forces qui n’ont de cesse de l’empêcher d’être un bon fils et un bon mari. Tout basculera lorsqu’il rencontrera Meta, jeune fille dont il tombe instantanément amoureux et dont l’unique obsession est […]

Guy Maddin, demi des Maroons, l’équipe de hockey sur glace de Winnipeg, est en proie à des forces qu’il ne peut contrôler, des forces qui n’ont de cesse de l’empêcher d’être un bon fils et un bon mari. Tout basculera lorsqu’il rencontrera Meta, jeune fille dont il tombe instantanément amoureux et dont l’unique obsession est de se venger de sa mère qui a assassiné son père adoré. C’est avec la complicité du médecin de l’équipe des Maroons qui doit greffer à Guy les mains précieusement préservées de son père, qu’elle espère assouvir cette vengeance.

Le cinéma de Guy Maddin ne ressemble à nul autre. Sans complexe, Maddin s’éloigne de toutes les conventions du genre cinématographique pour créer des bouts de pellicules sorties tout droit des années 20 avec des réminiscences futures du 21e siècles. A moins que ce ne soit l’inverse ! Et ne comptez pas sur lui pour vous en dire plus. Ni sur son film Et les lâches s’agenouillent pour vous éclairer un peu. Au manque de lumière, vos yeux s’habitueront et votre cerveau absorbera les images féeriques ou cauchemardesques de Monsieur Maddin. C’est selon !

Et les lâches s’agenouillent, inspiré du roman Les Mains d’Orlac, maintes fois adapté au cinéma, se veut tout d’abord comme une autobiographie prothésique de Maddin. S’appuyant sur des réminiscences personnelles entremêlées de fantasmes oedipiens, Maddin, pour une fois, livre une œuvre à la narration assez limpide en suivant les exactions de son double fictionnel coincé entre des femmes spectrales, castratrices ou hystériques. Ce sera l’occasion pour lui de s’essayer à la psychanalyse schizophrénique et d’offrir au spectateur un ballet troublant d’amour et de mort. D’ailleurs la vie n’est pour lui qu’un passage obligé aux rêveries les plus insensées, et la pellicule mortifère se doit de s’imprégner des couleurs vives de l’existence. Le cinéma est vie, mort, souffrance, pleurs et rires, et Maddin impose une colorimétrie du cinéma expressionniste toute personnelle pour déclarer sa flamme à tous ses amours perdues, retrouvées ou créées.

Aucun réalisateur à ce jour ne peut se vanter d’offrir un tel hommage au cinéma muet. Depuis ses premières œuvres jusqu’à aujourd’hui, Maddin possède son propre langage cinématographique hérité de Friedrich Wilhelm Murnau, de Fritz Lang ou bien encore de Robert Wiene. Si l’on se souvient de l’apparition du parlant comme la fin du cinéma expressionniste allemand, L’Ange bleu de Sternberg est réalisé quelques mois avant l’arrivée du nazisme, Maddin ne l’entend pas de cette oreille et offre une deuxième vie à ce courant cinématographique à l’imaginaire débordant. Dans Et les lâches s’agenouillent, seule la musique dirige le spectateur et entraîne les protagonistes au bord d’une mort annoncée. Jouant sur un sensible quasiment disparu dans la majorité des films actuels, la musique est utilisé comme palliatif à l’image et ne véhicule que peu de sens dans ses mélodies et ses harmonies,

Maddin construit son film selon dix chapitres orchestrés par des partitions musicales sorties tout droit d’un Pierre et le loup version Metropolis. Les cordes semblent faire trembler un Guy fictionnel tandis que le piano s’emballe au gré de la folie des personnages féminins. Le travail sur l’image est tout aussi impressionnant et ravira autant les amateurs du cinéma allemand des années 20 que les férus de Bokanowsky et de cinéma expérimental. Images irisées, sur-découpées, négatifs peints en bleu, plans kaléidoscopés, superposition, découpe au sein même de l’image, distorsion de l’échelle des plans, Maddin utilise tous les artifices archaïques d’altération ou de transformation de l’image pour construire une danse que lui seul supervise. Et c’est au spectateur de faire le premier pas pour entrer dans son univers poétique et déviant.

Comme tout réalisateur singulier, Maddin a ses obsessions, et ses références à Liliom, au Masque de cire ou à Sunset Boulevard ne lui suffisent pas pour exposer les tragédies humaines. Il ajoute à cela des triangulations amoureuses incestueuses, des avortements forcés et des médecins obscures. Le tout sous couvert d’un amour contrarié par une nature capricieuse. Il conclura son film par une intemporalité des sentiments tout simplement magnifique. Les gestes se perdent dans l’image et pénètrent l’écran de nos mémoires, la musique envahie nos esprits et perdure à travers ces personnages irréels. Et les lâches s’agenouillent, œuvre fantomatique, tragique. Pour ceux qui pensaient que ce genre de cinéma avait disparu.

Titre original : Cowards Bend the Knee

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 62 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…