Entretien avec Yahima Torres

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Solaire, explosive, confiante… L´actrice cubaine Yahima Torres, la révélation de « Vénus noire », est à des années lumières de la femme-objet introvertie découverte dans le film d´Abdellatif Kechiche. Rencontre avec une débutante qui a trouvé sa voie.

Votre rencontre avec Abdel Kechiche dans un café parisien : mythe ou réalité ?

C’est vrai ! Je marchais dans la rue à Belleville, où j’habite, et il m’a abordée. Enfin, c’est son assistante qui m’a interpelée et qui m’a parlé car Abdel n’est pas le genre à aborder une fille dans la rue en lui faisant le coup du réalisateur qui cherche une fille pour jouer dans son film. A l’époque, il préparait La Graine et le mulet, mais il avait déjà en tête l’histoire de Sarah Bartman. Il m’a dit avoir été saisi par ma présence… Moi j’avais quitté La Havane peu de temps auparavant et je donnais des cours d’espagnol en attendant mieux. Ensuite, on s’est perdu de vue. Puis on s’est recroisé par hasard, au même endroit, en 2008. Il avait commencé le casting de Vénus noire mais n’avait trouvé personne pour le rôle de Sarah…

Vous semblez très extravertie, à l’opposé de votre personnage quasi mutique…

Evidemment je suis extravertie : je suis cubaine ! Durant les neuf mois qui ont précédé le tournage, j’ai pris 13 kilos. J’ai suivi des cours d’Afrikaner, de théâtre, de danse, de chant et de violon. J’ai appris à camoufler mon accent cubain et à gérer ma respiration avec le ventre, pour donner à Sarah une voix plus grave et pour arriver à tenir le coup pendant les scènes de danse, ultra physiques. Et à la fin, je me suis rasée la tête. Je ne me suis jamais inquiétée de la transformation physique : pour un tel rôle, j’étais prête à tout.

Sarah est sans cesse humiliée par son « patron », par le public… Comment avez-vous abordé ces scènes ? C’est un peu violent pour un premier rôle non ?

J’ai réussi grâce à Abdel qui s’est montré très protecteur sur le tournage. Sans lui, j’aurais pu me sentir gênée pendant ces scènes terribles où Sarah doit se laisser toucher par des inconnus. Mais il a fait en sorte que je ne me sente jamais mal à l’aise, en choisissant des comédiens et une équipe technique qui m’ont toujours soutenue. Mais je reconnais que ce fut un tournage très éprouvant. Du coup, après, je me suis sentie vidée. Heureusement, j’avais anticipé le coup en prenant très tôt des billets d’avion pour Cuba, histoire de rentrer un peu dans ma famille et digérer tout ce qui venait de se passer.

En conférence de presse à Venise, Abdellatif Kechiche a clairement souligné la dimension politique de son film, dressant un parallèle entre son film, une histoire « de classe, de mépris et de préjugés » et les expulsions de Roms en France. Qu’en pensez-vous ?

Je préfère me concentrer sur la dimension artistique du film, même si je suis heureuse qu’il porte un message humaniste en rappelant au monde ce qu’il ne faut pas faire. Pour moi, Sarah est avant tout une artiste douée et généreuse, une femme moderne qui a quitté l’Afrique pour l’Europe seule, à une époque où cela ne se faisait pas et après avoir vécu la pire des douleurs pour une femme : perdre ses enfants. Je la respecte infiniment. D’autant que je sais ce que c’est que de quitter son pays dans l’espoir d’améliorer ta vie, même si j’ai eu la chance d’être bien accueillie par la France.

On vous reverra sur grand écran ?

Je l’espère ! Je n’ai pas encore d’agent mais quelques-uns semblaient intéressés. Je ne sais pas encore de quel type de rôle j’ai envie. D’un côté, j’aimerais faire quelque chose de totalement différent, de l’autre, après avoir joué un personnage aussi puissant, c’est difficile de passer à autre chose… Je crois que j’ai toujours voulu faire ce métier, mais sans me l’avouer. Toute petite déjà, je chantais et je dansais sans arrêt. Grâce à Abdel, j’ai trouvé ma voie.

Propos recueillis par Pamela Messi


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