Lire ici la critique de L’assemblée, par Jean-Michel Pignol.
Durant nuit debout, les médias nationaux donnaient l’image d’un mouvement essentiellement contestataire, négligeant sa portée constructive : reconstruire la démocratie. Ce décalage a t-il motivé votre envie de prendre la caméra ?
Disons que cela n’a pas été le motif principal. Mais par contre, quand même, je me suis dit qu’il ne fallait pas laisser aux médias le récit de ce qui se déroulait. Car pour les médias, il faut que cela aille vite. Ils ne restent que peu de temps sur le terrain. Ils ne racontent que de l’instantané, et moi je me disais dans ce mouvement il y a quelque chose qui est en train de se construire, il faut lui donner du temps. Le temps du tournage, mais surtout le temps du récit.
De nombreuses problématiques sont soulevées, dont celle de l’impérative synthèse des différents points de vue pour commencer à bâtir une démocratie.
Oui, la question de Nuit Debout était comment réussir à construire un projet politique tout en restant démocratique, horizontal ? Sans chef, sans représentant. En donnant la parole à tous et en respectant la singularité de chacun. Je pense que très vite Nuit Debout s’est trouvé débordé. Par la répression policière qui obligeait de reconstruire tous les jours. Par le 49.3 qui a conduit à abandonner certaines questions. Une météo qui était abominable. Très vite, un grand nombre de participants ont compris qu’ils auraient dû mal à résoudre cette question sur cette place. L’intérêt, en tout cas, de ceux qui traversaient le mouvement, et pour moi dans le film, n’était pas de résoudre les questions, mais de réussir à les poser. Cela fait deux siècles que l’on s’appuie sur une démocratie représentative, qui à l’évidence ne fonctionne plus aujourd’hui. Sans être polémique, nous avons un président qui est élu par simplement 11% des votants. Mais repenser une nouvelle démocratie ne peut se faire en un jour, et surtout cela ne s’improvise pas.
A quel moment avez-vous décidé que cette problématique serait le fil conducteur de votre film ? Durant le tournage ? Ou en période du montage ?
Très vite au tournage, je me suis dit que ce qu’il me semblait le plus intéressant c’était cette assemblée qui redonnait la parole à chacun. De faire en sorte qu’en se réappropriant la parole, l’homme se constitue comme sujet citoyen. Un sujet citoyen, c’est quelqu’un qui peut s’exprimer, qui peut arriver à construire sa pensée, à la confronter à l’autre. J’ai été touchée par ces personnes qui reprenaient confiance au poids de leur parole, car elles étaient écoutées. Très rapidement, j’ai décidé qu’il s’agirait du sujet du film. Je ne pouvais pas tout filmer. Quand on filme tout, on ne filme rien. Il y avait une multitude d’événements sur cette place : la logistique, les commissions, l’orchestre… Mais j’ai fait un choix radical en me concentrant sur la circulation de la parole.
La majeure partie du temps, votre caméra se retrouve au cœur d’une foule dense et animée. Quels moyens avez-vous utilisés pour gérer votre espace de tournage dans un cadre aussi confiné ?
C’était compliqué. D’abord par ce qu’il y a avait beaucoup de monde. Beaucoup de caméras. Des personnes se périscopaient. Parfois, j’avais du mal, les gens se mettaient devant moi, je ne pouvais pas filmer. Il y avait une certaine méfiance des médias. A force de me voir, les membres du mouvement ont compris que je ne faisais pas la même chose que les journalistes. Ce qui était compliqué, c’était également la police. Je n’opérais pas dans les conditions habituelles. Dans mes films précédents, avant de filmer les gens, je faisais d’abord connaissance avec eux. Ici, je n’ai pas pu installer la relation filmeur-filmé à laquelle je tiens beaucoup habituellement.
Vous n’insérez pas d’images empruntées à l’actualité politique, sociale ….. Quelles raisons ont motivé votre choix ?
Car je tiens à ce que mon projet présente une forme de cohérence. A partir du moment où il s’agit de mon regard personnel, il n’y a pas de raison que j’introduise des images que je n’ai pas réalisées. Certains m’ont demandé, sans vraiment insister, d’intégrer des plans sur les événements qui se déroulaient conjointement dans le pays. Je m’y suis refusée. De plus, je tiens beaucoup au caractère intemporel de ce film. Je l’ai réalisé pour que dans dix ou vingt ans on puisse toujours se poser la question sur la construction de la démocratie, et voir comment nous avons évolué.
Le mouvement a duré plusieurs mois Comment avez vous organisé votre tournage ?
J’étais présente tous les jours sur la place. Pour sentir les choses, il faut être là quotidiennement, car tout allait très vite. Je tournais de seize heures jusqu’à minuit. Le lendemain matin, je classais les rushs, et puis je repartais. Le tournage a été difficile. Rendu plus épuisant par la faute de moyens, mon producteur habituel ne pouvait pas me suivre car le film s’est décidé dans l’urgence, sans préparation. J’ai dû pratiquement tout gérer moi-même, à l’exception de la prise de son.
Nuit Debout n’a pas réussi à faire reculer le gouvernement. Cependant, malgré la déception, le ton des dernières scènes est loin d’être fataliste. Quels sont selon vous, les apports d’un tel collectif ?
Le fait que le mouvement se délite à un moment donné a été douloureux pour tout le monde. Mais, lors du montage, j’ai souhaité ne pas me limiter à ce seul constat. J’ai voulu aller dans l’essence du mouvement et montrer également sa réussite. Un questionnement s’est construit, des citoyens se sont réappropriés le politique. Ils ont pris confiance dans le Politique, pas dans les partis politiques. Dans les derniers plans, j’ai mis en avant un sentiment de mélancolie, ce n’est pas de l’abattement, la musique que j’ai choisie est une invitation au retour. La phrase de l’un des personnages va dans ce sens également : Nuit Debout est un outil, il faut continuer. Beaucoup de militants sont toujours en contact et restent actifs.
La démocratie citoyenne reste-elle une alternative possible ?
Oui, non seulement c’est une alternative possible, mais c’est une alternative nécessaire. Sinon, nous allons droit dans le mur. Il faut trouver une autre manière d’exercer la démocratie, sinon la tension va devenir extrême, j’en ai bien peur.