Documentaire émouvant
« Je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile que ce que j’entreprends », cette phrase de La princesse de Clèves trouve plus que jamais écho. En nous. Dix ans après avoir réalisé à Marseille Nous, princesses de Clèves qui avait marqué les esprits et la critique, Régis Saudier y revient pour rencontrer à nouveau Emmanuelle, la professeur dans une nouvelle classe mais dans le même lycée Denis Diderot où elle enseigne depuis 16 ans, et ses anciens élèves qui ont bien grandi et sont disséminés un peu partout en France et dans le monde. La question est de savoir, en plus de ce qu’ils sont devenus, ce qu’ils ont conservé de cette belle expérience et de leurs révoltes adolescentes. Ça donne un documentaire émouvant, avec des moments de tendresse et de révolte encore, pour des jeunes bousculés souvent par la vie, mais qui ont tous plus ou moins réussi à s’insérer dans un tissu social particulièrement difficile. Bien sûr, le film fera encore la part belle à des mouvements antiracistes et aussi de lutte contre l’homophobie, sans cependant sacrifier à la mode mais en tentant toujours de rester d’une neutralité bienveillante comme le conseillent la plupart des psychanalystes, et d’une grande empathie sincère.
Mise en abyme du souvenir
Le film commence en quelque sorte comme une mise en abyme. La professeur arrive donc quelque dix ans plus tard dans son établissement scolaire après avoir emprunté le tramway comme tout le monde et avançant masquée à cause du virus. Elle parle ensuite à ses élèves d’un film qu’elle va leur projeter. Ce film, c’est bien sur Nous, princesses de Clèves qui permet de faire le lien entre deux générations d’élèves. Mais si la vie n’a pas été tendre souvent avec les anciens protagonistes du film qu’on retrouve peu à peu, séparément, ou en petits groupes, elle semble aussi ne pas avoir toujours privilégié Emmanuelle qui parle quelquefois en voix-off pour exprimer ses difficultés et ses doutes. Un jour, elle cite Montaigne qui, dans Les Essais (I, 25), fait part en termes fleuris comme il en a l’habitude de l’inutilité d’une nourriture qui ne servirait pas à fortifier notre esprit. « Que nous sert-il d’avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère ? Si elle ne se transforme en nous ? Si elle ne nous augmente et fortifie ? » Une autre fois, elle voudrait aussi, parlant des relations qu’elle a nouées avec ses élèves, qu’ils prennent eux aussi conscience de leur importance car ils l’ont tout autant aidée qu’elle a tenté de le faire de son côté.
Que reste-t-il de nos amours ?
C’est ce qui ressort de ce film humaniste et rempli de promesses où l’on constate plan par plan que l’insertion dans une société n’est pas chose aisée, certes, mais qu’on a tous besoin de cette solidarité qui nous aide à grandir. Adolescents, ils avaient en commun un lycée, incarné aujourd’hui par Emmanuelle, leur professeure de l’époque qui y enseigne toujours. Elle a changé en restant à la même place et eux ont changé en se déplaçant : en quittant leur famille, leur quartier et parfois leur ville, Marseille. Mais en fait, tout en changeant, ils sont restés les mêmes avec leur rêve et leur part d’enfance en eux. « Ne grandissez pas, grandir c’est oublier ses rêves », déclarait à bon escient la beat generation que le street art a simplifié en : « Ne grandissez pas, c’est une arnaque ». Pourtant, ils ont bien grandi mais sans vieillir et sans oublier ce que leur a apporté à la fois l’école et la belle expérience de La Princesse de Clèves.