En guerre

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Quand le cinéma est raccord avec les luttes sociales et qu’il reconnaît l’état de guerre sociale actuel.

Hasard du calendrier, le dernier film de Stéphane Brizé, portant sur la lutte d’ouvriers dont la direction menace de fermer l’usine, sort au beau milieu d’un mois de mai chaud bouillant. Simple coïncidence ? Ou n’est-ce pas plutôt le signe, comme le dit si clairement le titre, que nous sommes « en guerre » sociale ?

De l’état de guerre…

Des images de luttes sociales, on en voit passer tous les jours au JT. Barricades devant Continental, pneus enflammés des Goodyear, chemise du DRH d’Air France déchirée… C’est justement cette dernière image qui a poussé Stéphane Brizé, comme il l’avoue dans le dossier de presse, à se lancer dans ce nouveau long métrage. Avec une nuance de taille par rapport à la télé : « Qu’y a-t-il avant le surgissement soudain de cette violence ? Quel est le chemin qui mène à cela ? Une colère nourrie par un sentiment d’humiliation et de désespoir qui se construit durant des semaines de lutte et où se révèle – on le découvrira – une disproportion colossale des forces en présence ».

« Forces en présence », « rapport de forces »… Le lexique du film traduit la situation sociale en France : un état de guerre entre les travailleur•euse•s et les patrons, dont Perrin Industrie, l’usine de sous-traitance automobile que défendent ses salarié•e•s, représente la nouvelle bataille.
Mais tout n’est pas qu’affaire de mots – bien que ceux-ci, lorsqu’ils passent dans la bouche d’un Vincent Lindon mué en extraordinaire tribun syndicaliste, tonnent avec fracas. La force d’En guerre est de clarifier esthétiquement les lignes de front. Toute guerre suppose ses belligérants, ses collaborateurs, ses jusqu’auboutistes, ses modérés, etc… Avec brio, Brizé accorde l’espace nécessaire à l’expression du conflit.

 


… au film de guerre
Et cela se passe concrètement dans le champ par un choix purement cinématographique : le cadrage. Du mélange de longues focales et de plans serrés résulte un cadre très horizontal sans profondeur de champ, avec très souvent des figures floues au premier plan. Le dispositif filmique excelle au cours des scènes de réunions houleuses entre syndicalistes et dirigeants : le champ-contrechamp oppose frontalement deux visions du monde qu’un espace vide, tel un no man’s land, sépare du tout au tout. La présence de figures floues au premier plan, quant à elle, renvoie la caméra à son statut d’observateur : c’est comme si le chef-opérateur s’immisçait dans un événement réel – d’ailleurs, la plupart des acteurs, Vincent Lindon excepté, sont des acteurs non-professionnels qui jouent un rôle proche de leur statut social réel –, dont il chercherait à rapporter l’atmosphère belliqueuse, le plus souvent en plan-séquence. Un procédé formel qui rapproche En guerre, film d’auteur revendiqué, du reportage de guerre, voire du film de guerre. Comme ces deux genres, En guerre restitue une ambiance globale, avec toute la complexité qui entoure ses acteurs.
On mesure avec ce film l’écart colossal qui existe entre le cinéma et les chaînes télévisées. Écart que le montage s’amuse à mettre en scène. À de nombreuses reprises, un montage parallèle confronte de fausses images de JT aux prises de vue cinématographiques. On passe alors de plans courts et serrés, qui se focalisent uniquement sur les dérapages violents des syndicalistes et caricaturent les belligérants, à l’espace de la confrontation filmique de Stéphane Brizé. Reprenons les mots des militants d’Act Up dans 120 battements par minute (réalisé par Robin Campillo) : « Le sida [ou ici, la délocalisation d’une usine] est une guerre. Et comme toute guerre, il a ses collaborateurs. » Aujourd’hui, en France, les chaînes télévisées sont de ceux-là.
Alors que le cinéma, lui, reconnaît formellement cet état de guerre sociale.

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Durée : 113 mn


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