Early Winter
Article écrit par Lucile Marfaing
Crise conjuguale sur fond de paysage canadien glaçant. Et ce n’est que le début de l’hiver…
Le second film de Michael Rowe, déjà réalisateur d’un prometteur premier long métrage (Année bissextile, 2010), provoque un coup de froid semblable à ceux qu’offre le rude hiver canadien qui sert ici de décor au film. Plus qu’une toile de fond, ce paysage glaçant et démesuré, à perte de vue, s’accorde au sujet d’Early Winter : il ménage de l’espace à l’effritement balafrant et atone d’un couple en crise. Pour autant, si l’austérité de l’environnement du film peut oppresser (longs plans séquences qui se déploient dans des pièces mises en scène afin de créer une sensation de malaise et de solitude), le délitement entre Maya (Suzanne Clément) et David (Paul Doucet) est bien plus gênant à soutenir. Car, n’en déplaise à Michael Rowe, ce qui se déroule à l’écran apparaît bien moins – comme il semblait vouloir le mettre en scène – être une crise conjugale tel qu’il peut en arriver à tous les êtres habitant pendant plusieurs années sous le même toit, que comme la déconsidération cruelle d’un individu envers un autre et du déséquilibre assez abject qui en découle. Dès l’ouverture du film, les dés sont jetés : en gros plan, le couple fait l’amour, et quelques minutes suffisent pour qu’on apprenne que lui ne la fait plus jouir depuis des années. Partant de cette impardonnable faute, le personnage de David n’a pas fini d’en prendre pour son grade : coincé entre son emploi d’auxiliaire de (fin de) vie pour satisfaire les besoins matériels de sa femme (faute d’autre chose !), l’indifférence de celle-ci affalée continuellement sur un canapé avec son téléphone portable (comprenons, étrangère dans ce pays, elle ne se sent pas dans son élément donc…elle ne fait rien) et des restes traumatiques indélébiles (la perte d’une fille issue d’un premier mariage), le pauvre homme continue cependant de se faire accabler et s’obstine, démuni, dans ce cercle humain et émotionnel assez dégradant. Ne sachant comment se positionner vis-à-vis de ces portraits désobligeants, devant la passivité misérable de l’un et la cruauté tout aussi affligeante de l’autre, on se questionne devant la nécessité et le sens de ces séquences étouffantes, qui n’épargnent rien, à l’épreuve d’un film qui conforterait les célibataires les plus endurcis, jusqu’à sa fin amère et résignée.
Si ce n’était une démonstration de dissolution amoureuse qui apparaît gratuite et lénifiante, le réalisateur présente de réelles qualités de mise en scène dans la construction d’une atmosphère de crise et d’isolement : la collection de petites figurines design collectionnées par Maya, l’utilisation lancinante du téléphone portable par celle-ci, l’accumulation de jouets des enfants éparpillés dans le salon et contrastant avec le désarroi commun aux deux parents mais aussi, le nuancier émotionnel des deux acteurs (la talentueuse Suzanne Clément vue dans les films de Xavier Dolan, et Paul Doucet) qui laissent transparaître l’impasse dans laquelle une relation entre deux personnes peut se retrouver ; enfin cet hiver canadien qui donne au film son titre, recouvrant de son manteau blanc et froid le déroulement mortifère de vies qui semblent n’avoir plus rien à faire ensemble.