Simon Werner dynamise un genre encore sans étiquettes
S’il n’a pas remporté vendredi dernier le César du meilleur premier film, Simon Werner a disparu avait selon nous des qualités plastiques et thématiques plus franches que le film distingué (Gainsbourg, vie héroïque, au demeurant plutôt bon). Le premier long de Fabrice Gobert, une histoire de disparition dans un lycée, sans véritables stars, se distinguait pas mal de ses concurrents par un travail esthétique très soigné, répondant à une construction narrative par personnage. La même histoire y est relatée, non pas selon les points de vue de chaque personnage, mais dans leurs sillons intimes. Ainsi, le propos de Gobert semble moins être la démonstration d’une narration éclatée que l’envie de dépeindre, par touches expressionnistes, le ressenti de chacun face à un incident qui vient troubler le quotidien si bien réglé de lycéens sans histoires. Jérémie, Alice, Rabier et Simon sont les habitants d’un récit paradoxalement très fluide, où les déplacements géographiques des élèves, de la salle de cours au terrain de foot, du self jusqu’à l’entrée du Lycée, déterminent une mise en scène du déplacement, de la fuite ou de la quête. Beaucoup de mouvement donc pour ces adolescents à la recherche de Simon et d’eux-mêmes, qui ne semblent vouloir jamais s’arrêter.
Le grand mérite du film est de s’inscrire dans un genre ô combien balisé, mais pourtant très peu couru dans la production française : le « teen-movie », anglicisme bien entendu employé pour ne parler que de films anglo-saxons. Pourtant ici, pas d’ancrage véritable dans une tradition française, ni de filiation avouée, bien qu’on sente évidement toute l’admiration que le jeune cinéaste peut porter à Gus Van Sant et à sa manière de suivre ses personnages en marche, les scruter de dos, et surtout conserver une distance de sécurité entre la caméra et eux, ménageant une zone de pudeur, d’intimité. Ce que Gobert réussit seul pourtant, c’est une caractérisation par touches musicales mais aussi grâce à l’éclairage, la focale, sans que les dialogues ou les situations n’y prennent vraiment part. On pourrait ainsi s’amuser à rechercher les stéréotypes en vigueur : la queen-prom, le sportif, le geek / nerd, la gothique… Mais bien que ressemblants, les lycéens s’échappent de cette grille de lecture dès lors qu’une portion de film leur est consacré.
Né d’une anecdote (Fabrice Gobert se souvient qu’un élève avait disparu dans des conditions mystérieuses durant ses années de lycée, base de récit plus intéressante en soi que la résolution de l’énigme, puisqu’il confie ne pas se souvenir de la réapparition ou non de l’élève), le sujet du film lui offre la possibilité de faire un retour dans ses années lycée (il avait 18 ans dans les 90’). Sans que rien ne soit vraiment précisé, on saisit peu à peu que les dix jours que relate le film ne sont pas des journées d’automne 2010. Nous sommes plus vraisemblablement dans les années 90 : pas encore de téléphone portables dans chaque main, pas de facebook, on écoute encore des disques, les jeans sont tailles hautes et les posters de Noir Désir trônent haut dans les chambres.
La nostalgie comme unique viseur
On peut s’interroger sur le pourquoi de ce saut dans le temps, surtout qu’il est finalement assez minime. A force de décrier des entreprises cinématographiques – aussitôt qualifiées de passéiste ou de nostalgique – comme Les choristes, on en oublie parfois qu’une des forces du cinématographe est d’offrir la possibilité de revenir, de réinventer ou d’habiter encore un peu le passé, fusse-t-il celui d’une période franchement pas assez connue pour être esthétiquement avantageuse. Mais au-delà de cette question rhétorique – puisque bien sûr, l’adolescence, période de transition, de la métamorphose et de l’incertitude, est un âge passionnant pour le cinéma –, on en vient surtout à s’interroger sur les choix spatio-temporels de ces fictions adolescentes, ce qu’ils reflètent de leur sujet et de leur cinéaste. Tenons-nous en au seul paysage français, puisqu’il s’agit surtout pour nous ici de définir comment quelques films marquants ont représenté l’espace scolaire, mais plus encore comment sont montrés ces lieux sociaux dont beaucoup ne gardent que des souvenirs individuels, voire intimes.
Plusieurs films ont fait le récit des parcours chaotiques et souvent comiques de professeurs (Le plus beau métier du monde, Le maitre d’école), et certains sont même restés cultes (Quatre garçons pleins d’avenir), même s’ils sortaient du cadre strict du secondaire (collège/lycée). Un des films français les plus emblématiques, Le Péril jeune de Cédric Klapisch, relate lui aussi, bien qu’il soit sorti en 1994 sur les écrans, l’année de terminale d’une bande de copains dans les années 70. Encore une fois, le décalage tient certainement de l’auteur, qui a vécu ses années lycée dans les années 70 et pour qui il semblait plus évident d’évoquer cette période personnelle au regard d’un contexte social, musical et artistique qui fut le sien. Si les adolescents de Simon Werner n’en finissent pas de défiler dans un lycée labyrinthique, sans réel intérêt pour les cours, Chabert et ses copains s’inscrivent pleinement dans un contexte, qu’ils le rejettent ou l’intègrent. Klapisch s’est imposé un cahier des charges assez lourd, puisque tous les sujets sont esquissés : amours, drogues, avenir, politique, amitié bien sûr, forment le tout d’un projet ambitieux, celui de prendre le pouls d’une époque, donner à voir une génération, sans distinction sociale ni d’âge, les professeurs étant aussi attentivement croqués.
Par sa tonalité résolument légère et comique, Le Péril jeune a donc également réussi le pari de devenir culte pour la jeunesse génération 90/2000. Certaines répliques, inoubliables, sont dans toutes les bouches et son aspect générationnel a complètement dépassé son cadre, notamment parce que les repères culturels évoqués (Hendrix, Zappa, Les Pink Floyd) sont encore bien prégnants aujourd’hui. A ce titre, la volonté de faire appel à Sonic Youth pour la BO de Simon Werner interpelle : groupe de rock autant écouté dans les 90’s qu’aujourd’hui, il n’inscrit absolument pas la fiction dans une époque donnée, mais l’énergise d’une sonorité aussi frémissante qu’alarmée, celle, pourrait-on avancer, des émois adolescents de toujours.
Christophe Honoré, lui, choisit le lycée comme théâtre d’une actualisation de La princesse de Clèves dans La Belle personne (2008). A la différence des autres films, le lycée, ici bâtiment ancien, presque déjà habité, s’appréhende comme un espace géographique à part, brumeux, parfait habitacle pour le drame amoureux. Refusant lui aussi une inscription temporelle donnée et actuelle, ses personnages évoluent dans un espace-temps encore plus sensible et évaporé. Seuls les émois intérieurs de ses personnages semblent intéresser Honoré, qui évacue tout récit alentours, toute tentative de divertissement adolescent (pour le spectateur et les personnages). Reste seule la nostalgie des premières amours, aussi fragiles et douloureuses que le seront celles des adultes.
Il semblerait alors que l’âge tendre n’existe jamais mieux sur les écrans français qu’hors du temps, sans qu’une époque définie ne puisse faire mentir une singularité toujours identique. Le passage à l’ère adulte, aussi fugace que peut-être insaisissable, n’est-il pas en fait une véritable obsession de cinéma, et d’homme de cinéma ? François Truffaut ne disait-il pas : « Je fais des films pour réaliser mes rêves d’adolescent, pour me faire du bien et, si possible, faire du bien aux autres » ?
Bonus du DVD
Un making-of intéressant, construit comme le film autour de chaque personnage, où les acteurs témoignent de leur rencontre avec des personnages que l’on découvre très méticuleusement inventés par Fabrice Gobert.
Les commentaires de la directrice de la photographie, Agnès Godard, sur son travail, notamment les particularités de lumière, de focale et d’approches réfléchies selon chaque protagoniste complètent à merveille la vision du film.
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Entre la fille de bourgeois en manque de rébellion ou l’hypocondriaque timide, armé de sa ventoline, car abandonné par son père, le traitement des personnages semble facilement tomber dans la caricature. Cependant, l’adolescent participe sans doute à instaurer cette fausse image en cultivant les clichés et s’identifiant inconsciemment (parfois même consciemment) à un groupe d’appartenance. En mélangeant des profils différents devenant confidents et amis virtuels, le film tente de démontrer que les problèmes existentiels de cette catégorie d’âge ne diffèrent pas selon la personnalité ou l’origine, qu’ils sont identiques à chacun. Les sujets évoqués et débattus dans cette chatroom ne sont pas futiles mais représentatifs des questionnements de leurs participants : es thèmes relativement simples mais finalement prépondérants tels que la sexualité, les parents, l’éducation ou l’apparence. Le film propose peu de pistes de réflexion mais montre cette centralisation de la pensée adolescente, tout en pointant les aspects violents et morbides de celle-ci.
Le film s’interroge aussi sur la problématique de la communication inhérente à cette catégorie d’âge. A travers les réseaux sociaux virtuels, les adolescents peuvent désormais s’exprimer mais surtout interagir plus facilement, créant un « nouveau monde ado » difficile d’accès pour les non-initiés, avec ses propres langages et règles de politesse. Le réalisateur présente cette nouvelle microsociété comme idyllique au départ, mais devenant rapidement un espace régi par un chef aux envies malsaines et dictatoriales, pour qui liberté rime avec trafic d’influence. Les différents propos du film, traités certes maladroitement, ont le mérite d’amener au constat que la technologie virtuelle a réellement bousculé le monde adolescent. Le code ado a aussi changé.
Bonus du DVD
Entretiens avec l’équipe du film et images de plateau
Bandes-annonces
Simon Werner a disparu… est disponible en DVD depuis le 2 février 2011, édité par Diaphana
Chatroom est disponible en DVD depuis le 5 janvier 2011, édité par Diaphana