Tony le Stéphanois, gangster usé, ruiné et fatigué par 5 ans de prison, se lance dans un dernier gros coup. Aidé de trois complices, truands au code d´honneur strict (pas d´armes, pas de sang, pas de trahison) il monte le braquage audacieux d´une joaillerie en plein coeur de Paris. Trahie par une ancienne maîtresse de Tony, la bande devra alors mener de front le cambriolage et un duel meurtrier avec le gang rival des Grutter.
Après un enchaînement faramineux de pépites du film noir (Les Démons de la liberté, Les Bas Fonds de Frisco, Les Forbans de La Nuit, La Cité Sans Voile), l’ascension de Jules Dassin se voit stoppée net par le Maccarthysme qui le contraint à s’exiler en Europe. Après plusieurs projets avortés en Italie et en France (ses ennuis récent le voyant se faire lâcher par Fernandel, pas très loyal, avec qui il devait tourner L’ennemi public numéro 1), il se voit proposer l’adaptation du roman noir de Auguste Breton, Du rififi chez les hommes. L’occasion est trop belle de renouer avec le genre qui fit sa gloire dans son pays d’origine et il s’y attelle aussitôt, co écrivant l’adaptation avec Lebreton lui même.
Le style, hérité du film noir américain croisé avec une tradition française plus terre à terre sous influence des romans de Simenon, va permettre de créer l’un des plus beaux cas d’hybridation du meilleur des deux pays, grâce au talent de Dassin. Ainsi, l’aspect documentaire que Dassin put expérimenter sur ses films américains se retrouve ici, avec l’urbanité parisienne de l’époque captée avec acuité et totalement immersive, un vrai instantané du quotidien de l’époque. Les monuments et les grandes avenues sont délaissés au profit des bars louches, des ruelles sordides et des appartements miteux où se réunissent les truands. De la même façon, ces derniers sont saisis dans la plus pure tradition française, surnom haut en couleur compris. Le vieux gangster sur le retour et usé par la prison Tony Le Stephanois est remarquablement incarné par un Jean Servais glacial, son acolyte gros bras Jo joué par l’acteur allemand Carl Möhner, l’italien expansif Mario Ferrati et Cesar le Milanais, as de l’ouverture de coffre, joué par Dassin lui même.
Parallèlement, l’onirisme du film noir américain se marie idéalement à l’intrigue avec un Dassin livrant une série de plans, cadrages ou éclairages surprenants dans un polar francais. On peut signaler entre autres toute la séquence totalement fantasmagorique où le Stéphanois tue le Milanais qui, entre l’ombre expressionniste de Tony dans l’embrasure d’une porte éclairant la pièce et le meurtre final en travelling arrière et caméra subjective, jure avec tout l’aspect réaliste qui précède. Le retour en voiture lors de la dernière scène filmée du point de vue de Tony mortellement blessé bascule aussi avant l’heure dans une vision presque psychédélique (façon Boorman du Point de Non Retour) avec ce montage saccadé et ses paysages qui défilent à toute vitesse.
Le morceau de bravoure qui vaudra au film la postérité, c’est bien évidemment le casse, les préparatifs minutieux ayant été remarquablement amorcés à coup d’astuces, de système D et d’ingéniosité, l’époque où les caper movies n’étaient pas plombés par le tout technologique. Donc c’est à un véritable tour de force de 27 minutes sans dialogues, tendu à bloc avec un montage au cordeau et des acteurs sous tension. Dassin avait d’abord prévu d’adjoindre de la musique à la séquence, mais impressionné au montage par la puissance de la séquence sans dialogue, il se ravisa et c’est la toute jeune Nadine Trintignant, alors monteuse, qui dut annoncer la nouvelle au compositeur Georges Auric le jour de l’enregistrement. Dassin égalera presque ce haut fait quelques années plus tard avec le casse de Topkapi, mais le film en lui même est nettement moins impressionnant.
On signalera aussi une utilisation de la violence surprenante, alternant constamment hors-champ renforçant la puissance émotionnelle (la mort de Tony le Stephanois, qui corrige à la ceinture son ex qui l’a trahi) et tuerie au grand jour libératrice (la mort de l’affreux tueur junkie joué par Robert Hossein). L’érotisme s’avère aussi bien plus ouvertement prononcé que dans un film américain, avec la séquence de music hall où est interprété Rififi (et la robe ultra moulante et décolletée de la chanteuse), les jeux sexuels entre Mario et sa femme, ainsi que les tenues peu vêtues de celle-ci, jouée par la plantureuse Claude Sylvain.
Comme souvent c’est par les femmes et un coup du destin que le vent tourne, et la conclusion tragique dans la plus pure tradition du genre est d’une grande puissance. Grand film.