Drive

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Nicolas Winding Refn filme avec le cerveau au lieu du coeur et rate le coche du grand film qui lui tendait les bras…

En décernant le Prix de la mise en scène à Drive en mai dernier le Festival de Cannes a apporté une vraie reconnaissance au travail du danois Nicolas Winding Refn, sans conteste un des cinéastes les plus intéressants apparus ces dernières années. On ne peut néanmoins totalement se réjouir de cette récompense qui va conforter Refn dans des certitudes qui en font tout autant un des réalisateurs les plus agaçants en activité.

Depuis le début de sa carrière, la filmographie de Refn est d’une schizophrénie constante entre immédiateté sincère et calcul. C’est cette immédiateté qui domine dans Pusher (1996), premier film rageur nous plongeant au milieu des petites frappes de Copenhague et où plane l’ombre du Scorsese de Mean Streets. Urgent, intense, Pusher remporte un succès local immense et fait sensation dans divers festivals. On se demande pourtant si l’on a bien affaire au même réalisateur avec le suivant Inside Job (son vrai second film Bleeding n’a pas bénéficié de sortie français, celle de Pusher fut très tardive également), poussif exercice à la Lynch aussi formellement brillant que narrativement laborieux et où se débat un malheureux John Turturro. Contrairement à ce que laissait penser Pusher, Refn se rêve donc finalement en grand artiste cérébral et hermétique alors que c’est justement l’absence de calcul et la frontalité de son premier film qui en faisait tout le prix. La sanction est d’ailleurs immédiate, Inside Job est un échec massif au box-office et force un Refn quasi ruiné (il était également producteur) à revenir à l’univers de Pusher dont il réalise deux suites coup sur coup, tournant autour de personnages croisés dans le premier film. Acculé et jouant son avenir (il faut voir le making-of sincère et impudique du coffret dvd réunissant les trois films), Refn retrouve la rage de filmer des premiers jours et réalise son meilleur film avec Pusher II, mélodrame policier poignant porté par une prestation fabuleuse de Mads Mikkelsen. Le troisième épisode quant à lui canalise parfaitement l’ironie de Refn avec une aussi glaçante que mémorable séquence où le dépeçage de cadavre encombrant n’aura plus de secret pour le spectateur.

 

 

Tiré d’affaire par le succès des deux films, le réalisateur peut alors de nouveau retourner à ses velléités « arty ». Le brutal et théâtral biopic Bronson (2009) plutôt brillant (et porté par un extraordinaire Tom Hardy) précède ainsi Le Guerrier silencieux, expérience cinématographique unique pour certains mais surtout exercice soporifique et creux dont la réussite visuelle ne compense pas la vacuité et l’autosatisfaction (il fallait lire les entretiens d’un Refn bouffi de prétention au moment de la sortie). Pour ces deux films, les comparaisons flatteuses pleuvent : Kubrick (« le 2001 du film de Viking » disaient les affiches, dès que les comparaisons avec le monument kubrickien surgissent, c’est très mauvais signe…), Lynch, Werner Herzog et on en passe… Problème : contrairement à tous ces réalisateurs, lorsque Refn cherche à intellectualiser son propos, son cinéma s’enlise irrémédiablement.

Du coup, l’attente était grande avec Drive, commande et pur film de genre qui le verrait peut-être revenir à une efficacité qui lui sied bien mieux. Refn semble à nouveau dans une démarche à la Kubrick, à savoir s’emparer d’un genre (ici le polar urbain), se l’approprier et le pousser dans ses derniers retranchements. De ce fait, l’intrigue renvoie à plusieurs grands classiques du genre. Le pitch (un pilote virtuose arrondi ses fins de mois en faisant le chauffeur pour des malfrats) est un quasi remake de The Driver (1978) de Walter Hill, un des rebondissements (un hold up raté dont le butin s’avère appartenir à la mafia) est repris du Tuez Charley Varrick de Don Siegel, tandis que tout le reste lorgne grandement sur Michael Mann, que ce soit l’ambiance urbaine nocturne hypnotique (Collateral, Le Solitaire) ou la bande son synthé eighties envoutante. La destinée du héros est typique de Mann également avec un Ryan Gosling professionnel glacial qui se rend paradoxalement vulnérable en s’humanisant (De Niro dans Heat, James Caan dans Le Solitaire, Tom Cruise dans Collateral). Refn égale tous ses modèles pendant les deux tiers du film et l’amateur de polar jubile tant le sentiment est grand de voir un classique instantané du genre. La narration est épurée et la caractérisation (Oscar Isaac ex-taulard poissard rattrapé par son passé parfait) et les rapprochements entre les personnages (toute la relation entre Gosling et Carey Mulligan) se fait par l’image, en quelque regards et gestes tandis que les nappes de synthés apportent une plénitude et une émotion suspendue.

 

 

Les scènes de poursuites finalement peu nombreuses sont époustouflantes, celle d’ouverture, nocturne et tout en retenue pour souligner l’intelligence du héros, et l’autre en plein jour, tout en virtuosité pour affirmer sa dextérité au volant. Carrey Mulligan (magnifique cette année dans Never Let Me Go) est très touchante et fragile en quelques scènes tandis que Ryan Gosling charismatique ranime le fantôme de tous les héros badass taciturnes et mystérieux (Steve McQueen, Charles Bronson, Clint Eastwood). On ne saura rien de son passé si ce n’est sa capacité à passer de la douceur timide à l’explosion de violence (verbale ou physique) dans la seconde pour un résultat dévastateur. Les seconds rôles sont tout aussi bons avec Albert Brooks en gangster dont toute la sympathie s’efface dès qu’il est menacé et Ron Perlman plus ouvertement agressif et drôle. Les amateurs de séries salueront aussi les performances de Christina Hendrix (Madmen) et Bryan Cranston (Breaking Bad) en victime collatérale et mentor fragile.

Malheureusement, l’intérêt se dilue dans la dernière partie où Refn retombe dans ses travers. Quelques moments sanglants trop appuyés font poindre une ironie inappropriée, le script se fait moins direct et alors qu’elle est le pivot émotionnel du film, Carrey Mulligan sort progressivement du récit. Malgré de belles idées (une vengeance nocturne lorgnant sur le fantastique avec un Gosling à la présence spectrale), il y a comme une froideur distanciée que confirme un climax expéditif et frustrant. La conclusion n’est pas sans rappeler Le Solitaire dans l’idée (avec son héros disparaissant dans la nuit), mais Refn trop calculateur n’ose pas verser dans l’emphase émotionnelle qu’oserait un Michael Mann. On reste alors sur l’impression d’un exercice de style brillant alors que s’annonçait un vrai grand polar dramatique. Drive résume finalement les limites de Refn (qui a pourtant tout pour être un grand) dont les films sont de plus en plus maîtrisés mais aussi de plus en plus creux et désincarnés. Un objet conceptuel comme Bronson a pu faire illusion mais c’est à croire qu’il a vraiment mal assimilé son modèle Kubrick. Chez ce dernier, toute la facette mécanique et glaciale n’était qu’un premier rideau vers de vraies (certes peu orthodoxes parfois) émotions, quand chez Refn elle forme un tout sans âme. En ce sens, son Prix de la mise en scène est largement mérité, mais il pourra difficilement prétendre à plus…

Titre original : Drive

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Durée : 100 mn


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