«L’enfer, c’est les autres », disait Jean-Paul Sartre dans sa pièce de théâtre Huis Clos. Au cours de ses autres écrits existentialistes, il adoucissait son propos en observant qu’ils sont aussi nécessaires comme force et comme miroir de nous-mêmes. Paradoxe jubilatoire et complexité véritable. Bref, une source de réflexion et d’exploration pour de nombreux films. Sans discours philosophiques ni hypothèses insignifiantes, Didine traite des autres et des actes anodins qui deviennent primordiaux, des changements opérés en silence. Sujet ambigu et tortueux mais maîtrisé sans prétention par Vincent Dietschy.
Comme l’indique la sonorité de son titre, le film joue sur deux registres, la gravité et la légèreté, le mouvant et l’indicible. Les «d», pleins et doux, viennent arrondir les dissonances en «i» aiguës et stridentes. Toutes ces lettres forment le surnom de Alexandrine et en deviennent son symbole. Les « i » sont ses échappatoires, parfois ardus, parfois faciles, tandis que les « d » enferment Alexandrine dans une inexistence confortable mais vaine. Cette présence transversale se retrouve aussi sur l’affiche du film. Les libellules de sa robe blanche choisissent de s’envoler sans qu’elle ne s’en aperçoive. Métaphore d’un envol et d’une partie de soi qui mue. Le réalisateur livre les clés de son personnage dans un rythme binaire. D’un caractère sans âme, il passe à une fluidité et un envol. Poursuivant cette maîtrise et cette précision de la dramaturgie, les musiques dessinent et accentuent le caractère de Didine lors de ses actions.
Grâce à un scénario sur mesure, Didine se donne ainsi pour ambition de suivre le parcours d’une jeune femme qui se révèle aux contacts des autres, entre conflits et amertumes. Alexandrine, 35 ans et dessinatrice textile, se laisse tranquillement porter par le courant, contrairement à son amie Muriel. Un jour, elle s’empare de son existence en franchissant le seuil d’une association d’aide aux personnes âgées.
Embaumé par un léger parfum, l’humour arrive grâce aux personnages singuliers et à leur rencontre mutuelle. Comme une amie proche, Didine convit le spectateur à des soirées en soutien à sa meilleur amie, à des rendez-vous impromptus (et alcoolisés) avec François (camarade de lycée) et à des engagements associatifs déterminés par un coup de foudre. Les maladresses, la malchance, les gaffes et les détails finement observés de la vie Didine font sourire et non pas rire aux éclats. La nuance est grande car l’habilité de Vincent Dietschy réside ici, dans sa capacité à ne pas s’inscrire dans un registre comique grossier et outrancier.
Tout est calme, fluide et tellement vrai. Ces petits riens, qui paraissent anodins, laissent planer une pesanteur tragique. Sans pour autant tomber dans le larmoyant, Didine jette un regard froid sur la société en y disséquant les problèmes du troisième âge, de la sécurité, de l’argent… et sur le destin incontrôlable de chacun. Ses personnages, soignés et très bien interprétés deviennent touchants jusqu’à en laisser une profonde émotion.
Sans prouesse technique mais avec l’exigence d’une narration et d’une écriture sonore, Vincent Dietchsy signe un deuxième long-métrage convaincant où l’apparente légèreté cache une réflexion amère et glaciale sur l’existence.