Detention

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Sorti en direct-to-DVD, ce film hybride se jouant des clichés et nous affirmant que « le bon goût survit en dehors de la démocratie » mérite d’être redécouvert.

Résumer Detention, c’est un peu comme vouloir vider l’océan avec un seau ou avoir une discussion avec un adolescent. Disons, pour commencer, qu’il débute comme un slasher, avant de dériver vers la science-fiction. Et la comédie romantique. Et le fantastique.

Riley Jones, sorte d’Hayley Smith – l’héroïne de American Dad! (Seth MacFarlane, 2005 -) – en prise de vues réelle, est une lycéenne de Grizzly Lake, un peu paumée et un peu bizutée. À son grand désarroi, sa meilleure amie Lone, la pom pom blonde, sort avec Clapton Davis, le garçon le plus populaire, et accessoirement son coup de cœur secret. La vie de lycéen n’est pas encore assez compliquée, il faut aussi qu’un serial killer tout droit sorti du dernier film d’horreur à la mode sévisse dans les couloirs de l’établissement après avoir sauvagement assassiné Taylor, la garce anorexique. Un serial killer, mais aussi un ours empaillé, un footballeur génétiquement modifié. Detention a des airs d’inventaire à la Prévert ; pour reprendre une appellation à la mode en ce moment, le film de Joseph Kahn est un mashup à base de genres différents, joué sur les différentes tonalités d’un même mode, celui du teen movie.

 
Un nanar genre
Torque

Joseph Kahn, au début, c’était Torque, la route s’enflamme (2004). Et des clips pour Britney Spears, Brandy ou les Backstreet Boys. À première vue, tout ce qui évoque le teen movie le plus mauvais qui soit, à base de motos, de filles en poom poom short et de chansons pop pour emballer. Torque n’a pas été une expérience horrible uniquement pour le spectateur, elle l’a également été pour son réalisateur comme il l’explique lui-même : « Réaliser un premier film pour Hollywood c’est aussi excitant que la première fois qu’on va coucher avec quelqu’un, mais travailler avec un studio, c’est découvrir que son partenaire sexuel est un catcheur de 200kg qui veut être le dominateur »(1). Un catcheur sadique qui lui a imposé de livrer une chose destinée à être l’équivalent de Fast and Furious (Rob Cohen, 2001), mais avec des motos. Détestant ce genre de films, autoproclamés super cool parce que super bourrins, donc en adéquation avec le goût des ados, Kahn va ajouter du plus au toujours plus en faisant de Torque une parodie.

Échaudé par l’accueil critique et public de son premier long métrage, Kahn effectue avec Detention un dérapage contrôlé à 180 degrés, film entièrement personnel (et autofinancé) mettant en scène des personnages bien caractérisés, animés par de vrais enjeux. Pour ce faire, Kahn descend de ses quarante ans pour se mettre à hauteur d’adolescents et plonger dans leur univers éclectique à la limite du foutraque. Mais Kahn n’est pas Larry Clark et assume à fond ses racines pop culture : il livre Detention, objet hybride, créature de Frankenstein faite de morceaux disparates cousus les uns aux autres. Bienvenue dans le cerveau d’un adolescent.


Smells like teen spirit


L’idée de Kahn était de parler de la nouvelle génération, une génération qu’il aime, quitte à la mettre sur un piédestal : « plus progressiste, moins sexiste, moins raciste et plus intelligente grâce à Internet » (2). Le réalisateur fait pleuvoir un champ de fleurs sur les moins de vingt-cinq ans mais soulève un point intéressant : pour faire un vrai teen movie, il faut aimer les adolescents, voir au-delà du cliché. Être du côté Virgin Suicides (Sofia Coppola, 1999) plutôt que Sexy Dance 3 (John Chu, 2010). Detention n’est pas juste fait pour les adolescents mais surtout avec les adolescents, ce qui change finalement beaucoup de choses. Kahn a en effet tenu à ce que tous les acteurs aient l’âge de leur rôle pour s’approcher d’une sensibilité et d’un parler véridiques. Une idée qui peut paraître aller de soi, mais quel âge avaient réellement les « ados » de Dawson (Kevin Williamson, 1998-2003) ?

Dès le générique, le film investit le champ de la pop culture, mêlant esthétique « clipesque », americana et références au genre hyper codé du teen movie. Dans le sillage d’un skater traçant sa route dans les couloirs d’un lycée, la caméra nous dévoile les noms de l’équipe technique et artistique inscrits sur une canette de Coca, une veste de baseball, un portable façon texto – jusqu’au nom du réalisateur écrit en lettres de vomi. Adolescence, paradis de l’esprit potache. En une séquence, tout est dit. La bande habituelle du teen movie sera présente puisque le lycée abrite bien évidemment une star, sa girlfriend blonde, une gothique, un geek, un sportif débile et la fille désabusée qui pense que la vie, ça craint. La bande du Breakfast Club (œuvre séminale de John Hughes, 1985) est de nouveau au grand complet avec pom pom girls, bal de promo, projet de science et proviseur rigide (le proviseur Verge, esprit potache suite).

Tout ce qui fait la mythologie d’un genre qu’on ne croirait possible qu’aux États-Unis, et comme illustration une lumière et des mouvements de caméra à la Steven Spielberg associés à un rythme tenant à la fois du clip et du zapping : un rythme générationnel. On se dit alors que seuls les adolescents sont le cœur de cible de Detention, somme toute bien traditionnel vu sous cet angle. Sauf que c’est loin d’être le cas, car le film ressemble en fait plus à l’ovni qui a kidnappé l’ours du lycée sur la planète Starclaw.

Je suis trop vieille pour ces conneries

Le postmodernisme se définit principalement comme le « collage d’éléments hétéroclites sans souci d’harmonie. Convergence entre art contemporain et culture populaire. L’ironie est la caractéristique essentielle du postmodernisme » (3). Comme Pixar s’est démarqué de Disney en misant sur la double lecture, du divertissement pour les plus jeunes et des références plus adultes, Detention, qui certes est un film qui parle directement aux adolescents, n’oublie pas pour autant de s’adresser à la génération (déjà adulte) née dans les années 1980 par le biais de références filmiques et musicales.

À cette génération qui a grandi devant les films de Steven Spielberg et de Robert Zemeckis, chaviré devant Dirty Dancing (Emile Ardolino, 1987) ou plus tard flippé devant Scream (Wes Craven, 1996) ou Saw (James Wan, 2004), le film fait forcément écho. Detention parvient à allier le kitsch innocent d’une série de lycée comme Parker Lewis ne perd jamais (Lon Diamond et Clyde Philips, 1990-1993) et l’ultra-référence d’un Scream 4 (Wes Craven, 2011). Le réalisateur passe entre autres Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985), Freaky Friday (Mark Waters, 2003) et La Mouche (David Cronenberg, 1986) à la moulinette postmoderne – avec l’ironie que cela implique – sans pour autant s’enfoncer dans la parodie. Le but du cinéaste n’est pas tant de se moquer de ces films fondateurs de l’imaginaire de toute une génération que de leur rendre hommage. Les échanges entre les personnages sont d’ailleurs basés sur des références filmiques ou musicales, car donner son avis sur un produit culturel sert avant tout affirmer son appartenance à un groupe, mais aussi à tester et défier l’autre dans un jeu de ping-pong verbal à coups de rock islandais et d’Aerosmith. Aimer un film ou une chanson plutôt qu’une autre est aussi ce qui définit un adolescent et détermine la case dans laquelle il sera rangé. Mais c’est aussi une façon de flirter, les débats autour d’une œuvre étant parfois la seule façon d’échanger pour un garçon et une fille. « Iron Man, ça c’est un film qui envoie », « Audigier c’est de la daube », « Elle est trop naze cette musique ». À travers ces références, cette bande d’adolescents née dans les années 1990 fantasment aussi une période qu’ils n’ont pas vécue autrement qu’à travers le cinéma ou la télévision. Une génération qui a accès à tout un monde en ayant seulement à cliquer sur une icône de bureau.

Résultat, les adolescents peuvent aimer ce film qui zappe d’un genre à l’autre, s’amuse des nouvelles technologies et perpétue les enjeux traditionnels du teen movie : avec qui aller au bal de promo et comment trouver sa place dans l’univers hostile du lycée – le tout sur fond de risque d’apocalypse causée par un dépit amoureux. Mais les plus de vingt-cinq ans ont également toutes les clés et toutes les références pour regarder le film à un autre niveau et s’amuser de ce(ux) qu’ils étaient il n’y a pas si longtemps quand eux aussi s’interrogeaient sur cette question cruciale : qui gagne, dans une bagarre, entre Patrick Swayze et Steven Seagal ?

(1) Joseph Kahn dans Exclusive: Joseph Kahn Talks Detention, Empire,
(2) Joseph Kahh dans Meredith Borders, The Badass Interview: Director Joseph Kahn Talks Detention and Torque, Badass Digest (avril 2012).
(3) Selon Wikipédia.

 

Titre original : Detention

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Durée : 93 mn


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