Desierto Adentro

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Quand Dieu le père décide de dévorer ses enfants, on s´accroche aux épines d´un douloureux désert de cactus. Orgueil et culpabilité bâtissent la charpente d´un mirage flippant et visuellement marquant. Assez rare pour être encouragé !

Desierto Adentro ancre sa fable tragique dans une réalité historique méconnue. Mexique, 1926, la guerre des Cristeros éclate, opposant l’Etat et l’Eglise. Les prêtres sont interdits d’office. Eliás va avoir un enfant, il veut le faire baptiser à tout prix par le père Trinidad. Une idée fixe qui lui sera fatale, non seulement à lui, mais à tout le village. Pour racheter son égoïsme et la mort d’un de ses fils au cours des représailles, il s’engage à faire pénitence. Appelant le nouveau-né du nom de son défunt garçon – Aureliano – il s’exile dans le désert pour démarrer la construction d’une église.

Son exode en charrette à travers les étendues infinies de yucas donne le ton d’un film biblique, chapitré comme un livre et illustré par les ex-votos peints par le benjamin. Les passages du dessin à la prise de vue réelle sont emprunts d’une naïveté qui tranche avec la brutalité terrifiante de cette histoire. Bonne idée probablement préméditée : sur un tel sujet, on redoutait les faciles dégoulinements sanguinolents des mater dolorosa « trash », chères au christianisme latin. Aureliano écrit ou narre son existence que nous vivons comme un conte cruel, comme il a pu le vivre étant enfant. Le décalage entre cette innocence originelle et le péché accablant du père est justement bien ressenti dans cette scène où le petit se fait pipi dessus en découvrant le visage du premier cadavre dont il devra dessiner le portrait. Violente éducation, en somme : autant exposer ses jolis dessins dans un abattoir. Nous grandissons avec lui. Peu à peu se dévoile l’imposture d’un père obsédé par son pardon, qui a condamné sa progéniture au martyre.

 

 

C’est vrai que si je touche Aureliano, il meurt ?

Les cadrages forts et sensualistes suggèrent un rapport mystique au corps, propre à la mythologie catholique. La robe immaculée de la mère a été tachée de sang par la naissance d’Aureliano, à l’image de la vie d’Eliás qui, pour protéger son bébé des intempéries, le garde dans un coffre en verre : un véritable cercueil portatif. Depuis lors, Aureliano est cloîtré dans sa cellule de moine, son père le fait voyager enfermé dans un coffre. Las de devoir imaginer l’air ou le soleil, il se frottera au sol, à la boue, et commencera à défier les barreaux de sa prison. Dans la vastitude du paysage on arrive pourtant à étouffer tellement l’atmosphère est pesante. L’épisode de pluie ne suffira pas à nous rafraîchir. Eliás assèchera ses enfants jusqu’à la moelle, les privant d’amour, de compassion.

Que personne ne touche ce petit Jésus maudit, emmuré derrière ses briques arides ! Marie Madeleine était prévenue : Noli me tangere… Toutes ces mystifications et règles absurdes pèsent sur la rebelle Micaela, qui deviendra une pute aux yeux de son père. On aimerait croire au miracle. On guette le signal annoncé. On se réveille : ce n’est pas Dieu qui peut mettre fin à leur torture. Eliás a beau rejeter la responsabilité de son malheur sur le Grand Absent, il est le propre moteur de sa punition. Il a scellé le destin de ses enfants, et il contrôle leur calvaire. Tous portent sa croix, Aureliano le premier. Il cristallise les fantasmes puants de piété du père, obscène lorsqu’il s’autoflagelle alors qu’on le sait bouffi d’un orgueil destructeur.

Tous coupables ! L’âme d’Eliás a cédé la place à une terre brûlée. Après des années de labeur, aveugle au monde qui l’entoure, peu importe la fin de la guerre, la machine infernale a été lancée, semble-t-il, depuis une éternité. Attrapés dans ses rouages, nous assistons avec effroi à la logique d’une foi poussée dans ses retranchements les plus inhumains.

Titre original : Desierto Adentro

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Durée : 112 mn


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