Des bandits, des amoureux et des pêcheurs

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Le Laboratoire d’Il était une fois le cinéma ouvre ses portes cette semaine à trois films incontournables, disponibles en DVD – Films Sans Frontières. A voir ou revoir, sans modération!

FILM 1

L’Amore: La Voix humaine & Le Miracle
, Roberto
Rossellini, 1948

« Je te vois avec mes oreilles. »

Film clef et pivot de la filmographie de Rossellini, L’Amore est enfin disponible en dvd. Le métrage est un véritable hommage à Anna Magnani, actrice et alors compagne du réalisateur. Scindé en deux parties distinctes, Rossellini relie les deux histoires et construit un jeu d’échos inédit à la fois par ses choix de mise en scène, et bien sûr l’incroyable interprétation de « La Magnani ». Adaptation de Cocteau, La Voix humaine montre une femme vivant les derniers instants d’une relation amoureuse par téléphone. Inquiète dans l’attente, caressante dans la tendresse, défaite puis frôlant l’hystérie dans le désespoir, l’actrice incarne tous les états de la femme, toutes les femmes. Face au jeu spectaculaire de Magnani, Rossellini oscille entre désir de la théâtralité du plan-séquence pour capter l’interprétation du monologue et construction par le montage, la caméra alternativement au plus près du visage puis s’éloignant pour exposer, dans ce huis clos, l’isolement fatal. Ode à l’actrice, ode aux femmes, Una Voce humana est aussi un conte de cinéma dévoilant une comédienne dans la plénitude de son jeu.
 
Le Miracle vient d’une idée de Federico Fellini (qui avait participé au scénario de Rome, ville ouverte). Une femme simple d’esprit rencontre un homme dans la montagne. Le prenant pour saint Joseph (incarné par Fellini), entre extase et ivresse forcée, elle s’évanouit. L’homme la viole. Enceinte, elle se croit immaculée tandis qu’elle devient la risée de son village. Peut-être moins parfait que la première partie, Il Miracolo paraît pourtant moins artificiel, car légèrement moins centré sur le jeu de son actrice. On retrouve l’obsession rossellinienne de la déambulation du personnage comme épreuve, l’espace naturel devenant ainsi espace mental. Le réalisateur établit des parallèles entre la femme et ses chèvres : abandonnée, elle s’abreuve comme un animal et sa lamentation se mue en un bêlement.
 
   
 
D’une immense cruauté, mais sans complaisance, L’Amore fait le portrait d’une féminité brisée et asservie par des hommes hypocrites, manipulateurs et couards. Forts différents les fragments entrent en résonnance. Puisque l’actrice est la même, on a tendance à lier les deux histoires comme deux moments de la vie d’une même femme : abandonnée par son amant, « La Magnani », devenue folle, se réfugie dans la grâce et l’imaginaire. De multiples constructions sont possibles autour de ces deux contes par le simple fait de ses deux femmes se voilant la face et d’une Magnani juste jusqu’à l’outrance.
 
Bonus : pas de bonus pour cette édition dont la qualité de l’image et du son ne rend pas hommage au film.

Critique : Mickaël Pierson

ITALIE – 1948 – Durée: 1h16 – Audio : Italien – Sous-titres : Français
N&B – Format Original 1’33 (4/3) – PAL Zone 2

FILM 2

La terre tremble (La Terra trema), Luchino Visconti, 1948


« La mer est amère »

De l’amour, de la politique, de l’action, des rapports sociaux. La terre tremble de Luchino Visconti signe l’esprit rebelle d’un réalisateur engagé, prêt à donner aux spectateurs sa réalité et les injustices qui l’animent. Italien avant tout, la famille, la religion, l’amour et la moquerie sont au rendez-vous dans ce film aux allures de documentaires sur la rude vie de pêcheur des années 50.

« Le poisson est à qui l’a pêché »

Véritable réquisitoire contre les riches, ceux qui détiennent le pouvoir et rendent encore plus pauvres ceux qui le sont déjà, La terre tremble est d’une modernité et d’un réalisme foudroyants. La famille est omniprésente, dans ce paysage italien où la chaleur est étouffante, où les femmes riches ne peuvent épouser les hommes pauvres qu’elles aiment éperdument, où Mussolini a fait de certains hommes les bourreaux des plus démunis, des affamés, des roturiers.

Antonio, regard bleu azur – imaginable malgré la qualité fragile du film – amoureux transi de Nedda, cadet d’une famille où les garçons vont à la pêche et les filles restent à la maison, décide d’hypothéquer la maison de famille pour monter sa propre entreprise. Outrage à l’autorité des grossistes, ogres et monstres qui exploitent les pauvres pêcheurs, Antonio empli de courage se lance dans une aventure, entre terre et mer.

Honneur au communisme

Le film s’inspire de l’auteur italien Giovanni Verga, et c’est avec brio que Visconti dresse le portrait d’hommes qui croient en l’homme, en l’amour, en eux-mêmes. De la pauvreté naît le courage et l’envie. Le scénario est une véritable carte postale de l’Italie et des clivages qui l’ont fait trembler après la guerre. Ce ne sont pas des acteurs mais de véritables pêcheurs et habitants de l’Aci Trezza qui font vivre le film, qui donnent du mouvement à l’histoire racontée.

  

Sicile, Sicile… Quand tu nous tiens

Aci Trezza, bourg de pêcheurs calme et paisible, a servi de décor au film de Visconti. En apercevant les îlots de lave, les barques cassées de pêcheurs pauvres, les plages utilisées pour réparer les filets et vendre les anchois péchés le matin tôt, on tombe amoureux de l’Italie, son atmosphère et son faux-semblant de tableau ancien.

Visconti signe donc un chef-d’œuvre de réalisme et d’utopie politique, avec émotion et séduction. Entre nostalgie et docu-fiction, une histoire qu’il est bon d’écouter à nouveau…

Critique : Stéphanie Chermont

ITALIE – 1948 – Durée : 2h37 – Audio : Italien – Sous-titres : Français
N&B – Format original 1’33 (4/3) – PAL Zone 2

 

FILM 3

O CANGACEIRO, de Lima Barreto, 1953

 
Il était une fois le cinéma brésilien

Après-guerre, la production des studios brésiliens était très irrégulière, de un à dix films par an tandis que le cinéma américain dominait le pays. L’idée du fameux producteur, Alberto Cavalcanti, était d’établir un « Hollywood » brésilien avec les studios de Vera Cruz mais celle-ci relevait du rêve. O Cangaceiro, film de Lima Barreto produit par le studio et distribué par la Columbia, fut le premier à être mondialement connu, Il recueillit deux prix au festival de Cannes, en 1953. C’est par son travail de documentariste que se distingue son réalisateur. Celui-ci avait, à son palmarès, un prix au festival de Venise dans la catégorie art, en 1951 pour Santuário, magnifiant les sculptures baroques coloniales de l’achitecte brésilien Aleijadinho. O Cangaceiro fut son premier film de fiction.

Lampião, à l’origine du genre cangaço

Le film s’inspire d’un personnage folklorique légendaire Virgulo Ferreira da Silva, le chef des bandits des terres arides du Nordeste, surnommé Lampiao, car il était toujours prêt à faire feu comme un lampion allumé. Au cours du pillage d’un village, les bandits enlèvent la jeune institutrice Olivia pour ensuite réclamer une rançon. Teodoro, l’assistant du terrible capitaine Ferreira, tombe amoureux d’Olivia et va l’aider à s’enfuir au prix de sa propre vie. Ce type d’intrigue, mettant en scène les affrontements entre les autorités du pays et les bandits, les Robins du désert luttant contre l’oppression sociale des gros propriétaires terriens brésiliens, dans les paysages arides du Sertao donnent alors naissance à un genre : le cangaço.

Hollywood à la brésilienne

Nonobstant l’influence des westerns américains de l’époque, Lima Barreto s’est lancé le défi de fabriquer un film typiquement brésilien avec ses paysages, son histoire, sa musique, sa culture. Afin que cette entreprise soit réussie et approuvée internationalement, Cavalcanti engagea les meilleurs techniciens, un chef opérateur anglais (Chick Fowle), un monteur allemand (Oswald Hafenrichter). Les décors et les costumes ont été fabriqués par les célèbres Caribé et Pierino Massenzi. L’écrivaine Rachel de Queiroz s’est merveileusement occupé des dialogues. La musique n’est pas en reste : la chanson du film « Mulher Rendeira », douce et hypnotisante, a longtemps bercé les radios du monde entier.
 

Le plus frappant dans le film est cet antagonisme entre l’affabilité de la langue portugaise, le lyrisme captivant des mélodies et, en même temps, cette violence des hommes, ou même des relations entre ces derniers et les femmes, dictée par la nature sauvage et asséchée des terres du Nordeste brésilien. Dans le répertoire des scènes mémorables du film : le moment où le capitaine Galdino Ferreira et sa bande croisent un curé dans une carriole. Le groupe écoute impatiemment son sermon mais, à la fin, il lui vole son cheval et le contraigne à rentrer à pieds en poussant sa charrette. La scène d’échange, lorsqu’ Olivia et Teodoro rencontrent un Indien sur leur chemin est également remarquable. Les deux premiers personnages troquent un morceau de nourriture contre un collier indien en dents de jaguar, et Téodoro l’offre à son amoureuse.

Magnifiquement filmé, avec un montage très recherché et des personnages hauts en couleur, O Cangaceiro a imposé le cinéma brésilien dans le monde. On ne peut que se féliciter de cette édition du film en DVD par Films Sans Frontières mais regretter, toutefois, l’absence de bonus afin d’en apprendre un peu plus.

Critique : Rita Bukauskaite

 

BRESIL – 1953 – Durée : 1h35 – Audio : Portugais (Brésilien) –
Sous-titres : Français – N&B – Format original 1’33 (4/3) – PAL Zone 2

 


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