S’inspirant de sa propre expérience d’étudiant noir sur un campus presque exclusivement blanc, ce Texan de 31 ans a consacré sept années à concocter ce projet financé via une plateforme participative. Et une vingtaine de jours à le tourner. Résultat : son film contrecarre à peu près toutes les trajectoires attendues. Via une galerie de personnages plus hétérogènes les uns que les autres, le cinéaste tisse une satire bouleversant toutes les règles traditionnelles. Outre Sam, leader d’un groupe jouant la carte du revival Black Panther Party mais cachant à tout le monde sa liaison avec un Blanc, il y a Lionel, le bizut à coupe afro surdimensionnée tentant vainement de revendiquer son homosexualité. Ou Coco, fashionista refoulant sa couleur de peau et rêvant de devenir blanche pour mieux s’intégrer. Ou encore ces Blancs reproduisant le look et le verbiage des rappeurs noirs. C’est ainsi que Justin Simien fait s’entrechoquer des protagonistes en quête d’identité pour mieux explorer la question raciale de son pays. Même si ce portrait ne manque pas d’exprimer la gêne aujourd’hui encore vécue par la jeunesse noire évoluant dans des structures à majorité de Blancs, Dear White Pople ne joue jamais la carte de la moralisation. Certains rebondissements du scénario mettent d’ailleurs en cause aussi bien les Noirs que les Blancs. L’idée n’est donc pas d’imposer une conclusion ou d’appeler à une révolution, mais de dire que l’Amérique est un pays où la question raciale et les problèmes identitaires ne sont pas résolus. Sans pour autant se priver au passage de quolibets bien sentis, et diablement intelligents.
La mise en scène est sophistiquée dans Dear White People. Et puisqu’il y est question de dépister stéréotypes et clichés tapis sous le voile de la normalité, ses compositions s’inspirent à la fois de quelques séries mainstream comme Gossip Girl, que des constructions symétriques chères à Wes Anderson. À l’instar du papa de La Famille Tenenbaum (2002), Justin Simien use et abuse de décors aseptisés sécrétant une normalité viciée. Quoi de mieux, dans cette logique, que de mettre à l’épreuve le monde propret et exclusivement blanc de Gossip Girl (2007-2012) pour mieux le distordre et le renvoyer à ses contradictions ? De même, l’usage de la musique – souvent des partitions classiques triturées façon Stanley Kubrick – participe à la mise en évidence de ces pathologies souterraines, cachées sous les conventions. Tandis que quelques détails ici ou là rappellent le Do the Right Thing (1989) de Spike Lee. De fait, il apparaît dans l’ensemble évident que Justin Simien réussit avec Dear White People un joli coup de force. Reste peut-être un reproche toutefois : à trop vouloir multiplier les répliques percutantes, à trop chercher à parfaire le moindre dialogue, le cinéaste prend le risque d’étouffer le spectateur, lui faisant alors perdre de vue le récit et les personnages. Ce qui n’empêche pas Dear White People de révéler un réalisateur prometteur.