Mitterrand et la guerre d’Algérie
Un des principaux avantages de ce qu’on a tendance à appeler maintenant cancel culture, c’est de s’attaquer quelquefois à des personnes qui ont marqué l’Histoire, et parfois pas à leur avantage. Ainsi pour François Mitterrand, longtemps passé pour le champion de la gauche, de la démocratie et dont on a habilement caché pendant longtemps ses amitiés avec l’extrême droite et son rôle pendant la guerre d’Algérie. Ainsi, ce film revient sur cette guerre qui salit encore notre mémoire collective, à travers l’histoire oubliée de Fernand Iveton, qui avait pris le parti du FLN et avait été condamné à mort à l’époque où François Mitterrand était ministre de l’Intérieur. Dans un ouvrage co-écrit avec François Malye aux éditions Calmann-Lévy, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Benjamin Stora a bien mis à jour ce fait indéniable et qui ternit vraiment l’image de l’homme « providentiel » qui, en 1981, a supprimé la peine de mort en France alors qu’il avait voté celle de Fernand Iveton qui, de son côté, n’avait tué personne. « Le nom de Fernand Iveton s’est perdu dans les eaux glacées de la guerre d’Algérie, écrit Bernard Stora. Son histoire extraordinaire n’a pas laissé de trace particulière dans la longue séquence d’une guerre vraiment jamais nommée (que les Algériens appellent la guerre de libération nationale). Et pourtant… Le nom de Fernand Iveton n’a cessé de tourmenter la mémoire de celui qui a aboli en 1981 la peine de mort, François Mitterrand. En 1956, en tant que ministre de la Justice, il était vice-président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui examinait les recours en grâce et procédait à un vote. Le 24 mars 1994, devenu Président de la République, il reçoit trois journalistes. Comme ils lui demandaient: « Qu’avez-vous voté sur le dossier Iveton ? », François Mitterrand leur avait répondu: « Je ne peux pas vous le dire ». Jean-Claude Périer, secrétaire du CSM de 1956 à 1959, révéla aux trois journalistes que F. Mitterrand avait voté la mort. »
Adaptation littéraire
Édifiant en effet. Le film revient donc sur cette affaire en se basant sur l’ouvrage d’un auteur qui venait de refuser le Goncourt. Le livre relate magnifiquement cette histoire bouleversante qui donne matière à un beau film. « Le point de départ, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film, c’est la rencontre avec le livre de Joseph Andras, De nos frères blessés. Katell Quillévéré, ma compagne, me parle un jour d’un mystérieux auteur, au pseudonyme de Joseph Andras, qui vient de refuser le prix Goncourt pour son premier roman sur un militant indépendantiste, « exécuté pour l’exemple », une histoire oubliée de la guerre d’Algérie. La lecture du livre nous bouleverse. » Et le film nous bouleverse à notre tour, plus de soixante après, surtout qu’il est mis en images sublimes par Hichame Alaouié, écrit par Katell Quillévéré, Hélier Cisterne et Antoine Barraud.
Convoquer les fantômes
Et interprété par un couple de cinéma épatant et émouvant : Vincent Lacoste et Vicky Krieps qui déclare notamment au sujet du tournage de ce film : « Je suis allée sur la tombe de Fernand Iveton, j’ai pris un petit morceau de sa pierre tombale pour aller la déposer sur la tombe d’Hélène quand le film sera sorti. Et tous les matins du tournage, j’allais faire de la méditation sur le balcon et je demandais à Hélène et Fernand la permission de raconter leur histoire. Oui, je fais des trucs comme ça ! Vous savez, faire des films, c’est parfois comparable à une cérémonie vaudou, c’est appeler les morts, convoquer les fantômes. »