L’idée de base est convaincante : raconter la vie et l’œuvre d’un virus. Un bacille à l’image de notre nouveau siècle : contre-nature, radical, global – et mortel. Sorte de grippe carabinée qui fait clamser en quelques heures une, puis dix, puis plusieurs millions de personnes à travers la planète, par le biais – ô horreur ! – d’un simple contact, voire un simple éternuement orienté dans votre direction. Soit le cauchemar de n’importe quel scientifique, cellule de crise et gouvernement de ce monde, puisque dans ce cas précis, on s’en doute, l’Homme tend à reprendre ses réflexes basiques de survie, de paranoïa et d’agressivité primaire.
Réalisme tous azimuts
Soderbergh, en mode marathon malgré ses annonces répétées de retraite anticipée (il venait juste de terminer le plutôt réussi The Informant !, et a enchaîné presque directement sur le film d’action Haywire), s’attaque donc avec son scénariste Scott Burns à un sujet sur lequel tout a déjà été dit au cinéma (de bonne ou mauvaise manière, là n’est pas le problème). L’angle, c’est le réalisme global : l’Organisation mondiale de la santé est représentée dans toutes ses activités, qu’il s’agisse de décider en haut lieu des plans d’urgence à adopter, d’envoyer les experts sur le terrain pour soigner les patients, ou remonter la source d’origine du virus. Sans oublier les scientifiques qui travaillent en milieu clos et sécurisé, à la recherche du vaccin. On a même droit à l’Américain lambda, effrondré par la mort de sa femme (le patient zéro), au représentant de la presse Internet alarmiste, et à des… Hong-kongais.
Soderbergh croit avec ce parti-pris avoir gagné la bataille avant même de l’avoir menée. Mais une fois passée l’exposition clinique de l’épidémie (symbolisée par l’image choc de l’autopsie de Gwyneth Paltrow – un trucage très simple utilisé de manière très efficace), et la démonstration de sa propagation à grande échelle, rien ne se dégage du film. L’urgence, le chaos, l’incompréhension, voilà ce à quoi Contagion devrait nous confronter. Au lieu de cela, le film tente de jouer l’empathie jusqu’à l’absurde, restant à la surface des choses quand elles devraient justement devenir viscérales. Il ne suffit pas de mettre des ordures dans la rue ou d’enchaîner des plans d’aéroports ou de bars vides pour nous faire ressentir la peur et la paranoïa d’une planète saisie d’effroi quand elle comprend que mère Nature s’amuse à nous détruire. Encore une fois, Soderbergh a voulu se la jouer « artisan avec un point de vue » (les montages cotonneux bardés de courtes focales sur la musique de Cliff Martinez, franchement, c’est plus possible) sur un sujet de blockbuster.
La pandémie pour les nuls
Scott Burns l’avoue, Contagion s’est monté très rapidement. Documenté, ramassé, le script qu’il livre est pourtant faible : le scénariste explique que les personnages se sont ajoutés à chaque fois qu’un « thème », ou une « fonction », devait être importé dans l’histoire. D’où cette sensation tenace d’observer des acteurs de talent tentant, tant bien que mal, de donner vie à de purs archétypes, dénués d’épaisseur et de personnalité. Tiens, créons un bloggeur pour montrer que les rumeurs sur Internet, ça tue plus vite que le virus (même quand il n’y a plus d’opérateurs dans les bureaux ?). Tiens, rappelons que le chef des scientifiques est aussi un être humain : la preuve, il donne son propre vaccin au fiston de son aide ménager (ce qui est très réaliste, on en conviendra). La palme revient à l’épidémiologiste jouée par Marion Cotillard, qui se fait kidnapper dans un village chinois et finit un mois plus tard par apprendre l’anglais aux enfants, parce que la vie, c’est aussi ça (sic).
Contagion n’a rien de honteux. Son montage séquentiel, à rebours (la dernière minute expliquera le pourquoi du comment de manière aussi directe que glaciale), permet de ne jamais s’attarder plus que nécessaire sur chaque rebondissement, qui trouve directement son écho dans les séquences suivantes. Aussi virtuose soit-il, il ne sert pourtant que de cache-misère à une intrigue superficielle et d’une grande vacuité. Pour nous faire peur à la simple idée d’une poignée de main, il aurait fallu un script concentré sur les vrais enjeux d’une telle histoire, qui sorte des sentiers battus et des raccourcis narratifs classiques. Il aurait également fallu un réalisateur soucieux de donner un côté organique à ce qui n’est au final qu’une dissertation chichiteuse de laborantin.