Coffret Patrick Keiller

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Patrick Keiller est un artiste, un remarquable écrivain et un adepte du cinéma d´architecture. Il dissèque Londres et l´Angleterre qui apparaissent dans toute leur splendeur burlesque et absurde.

Le cinéma d’architecture est un sujet assez obscur en France ou tout au moins a perdu de son actualité. A l’époque de la Nouvelle Vague, des réalisateurs comme Alain Resnais (L’Année dernière à Marienbad (1961), Nuit et brouillard (1955)) ou Godard (Alphaville (1965) ou 2 ou 3 choses que je sais d’elle (1966) sur la ville de Paris) savaient exploiter cette veine-là.

Le concept de ce type de cinéma réside dans la défamiliarisation. Tout ce qui est filmé a un cadre choisi, restreint et par conséquence fonctionnalisé car la plus grande partie de l’espace filmique reste hors-champ. Pour ceux qui ne connaissent pas le sujet, il serait judicieux de commencer par les courts métrages de Patrick Keiller. Les images noir et blanc bien contrastées de sa caméra subjective en mouvement sont accompagnées par la voix off du personnage narrant ses déboires (Stonebridge Park (1981) et Norwood (1983)). Patrick Keiller écrit toujours le texte pour son film après le montage. Il raconte une histoire fictionnelle mais non dénuée de réalité. La voix off colle ou ne colle pas aux images mais produit un sens nouveau, étrange et métaphorique.

London (1994) et Robinson dans l’espace (1997) constituent une sorte de trilogie avec Robinson dans les ruines (Robinson in Ruins) dont la sortie est prévue cette année. Robinson, inspiré du roman de Daniel Defoe, est le personnage récurrent des trois films. Le narrateur du film (la voix de Paul Scofield), c’est l’ami de Robinson. Il lui rend visite à Londres mais tous les deux sont invisibles à l’image. La voix relate l’histoire de l’Angleterre à travers ses bâtiments de styles et de siècles différents, unis dans un seul espace. Cette vieille île d’Angleterre qui, détachée du continent, semble avoir contourné tous les principaux événements de l’histoire, y compris la révolution. Ces anachronismes du paysage urbain manifestent la peur du changement, la peur du socialisme et de l’Europe, dit Robinson.
 
 

On comprend la situation politico-économique grâce aux mésaventures de Robinson. Il travaille à l’université et reçoit un maigre salaire avec lequel il ne peut même pas voyager. Le gouvernement militariste et cruel, administré par les conservateurs, préfère dépenser des fortunes pour les vieilles et grotesques traditions royales plutôt que pour le transport public (le plus cher d’Europe), les hôpitaux et les logements sociaux dans un piteux état. Robinson reste la victime des conditions que lui inflige son état, une île prisonnière de sa propre politique, où les chiffres s’envolent en bourse mais les espaces publics restent les témoins du vide.
 
 

Robinson dans l’espace (1997) reprend cette thématique et en s’appuyant sur des statistiques portuaires. Le film tente de comprendre la déchéance de l’industrie anglaise, qui était jadis garante de l’emploi et de bonnes conditions sociales. Comment l’un des pays les plus riches au monde peut posséder des paysages aussi pauvres, un environnement si délabré et pollué ? Pourquoi l’industrie britannique de haute technologie est celle de l’armement, dont les investissements sont subventionnés par l’État ? La politique néolibérale cruellement imposée par le gouvernement anglais est grandement responsable de cette érosion visible des paysages du Royaume-Uni.

 

Le graphisme strict et carré des deux  films (London, Robinson dans l’espace), les lignes convergentes et divergentes de leurs paysages, multitudes des formes et des couleurs, nous proposent un formalisme surpuissant qui s’effondre en ironie sous sa propre tension. Le style de Patrick Keiller, extrêmement travaillé et réfléchi, nous apporte une autre manière de penser l’architecture. D’apparence austère, ce documentaire n’est qu’une comédie d’horizontales et de verticales sur le carré de l’écran, qui pourrait simplement signifier l’espoir.

Le livret fourni avec le coffret contient des textes de Patrick Keiller qui sont des comptes rendus détaillés de ses films. L’écrivain nous fait part non seulement de ses soucis techniques et esthétiques mais propose également une réflexion et une analyse mathématique de la situation politique, économique et sociale.

Finissons par le texte écrit pour son court métrage Valtos (1987) :
 

Je marche parmi les atmosphériques de ma peur, d’invisibles forces, courants galvaniques et formes radio, encerclent ma tête.
A mes yeux, les eaux se sont changées en sang et le sol en masses de chair pourrissante. Je marche en un lieu devenu l’intérieur de mon esprit.


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