Coffret Ken Loach

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Zoom sur Carla’s song, My Name Is Joe, Which Side Are You On ? et Les Dockers De Liverpool

Editions Darkstar (Novembre 2007)

 

S’il existe encore un cinéma engagé, celui de Ken Loach en est, depuis de nombreuses années, un des témoins les plus évidents. Après avoir reçu en 2006 la Palme d’or pour Le Vent se lève, situé dans l’Irlande mouvementée des années 30, quelques-uns de ses films, dont la majorité a été réalisée dans la deuxième partie des années 90, sont édités par les éditions Diaphana. Carla’s Song, My name is Joe, et deux documentaires, Les dockers de Liverpool et Which side are you on ? , quatre films engagés et quatre manières différentes de filmer.

Ken Loach est un réalisateur qui s’est fixé comme exigence, dès ses débuts, de faire des films qui donnent autant à voir qu’à entendre, à comprendre, et pour lequel « fiction » et « documentaire » ne sont que deux expressions d’un seul et unique cinéma, en prise comme aucun autre avec son temps. Ses œuvres sont le fruit d’un souci permanent de la part de l’artiste d’être en phase avec la réalité, celle que l’on ne voit pas assez, nous tous, spectateurs finalement trop ignorants des conditions de vie qui ne sont pas les nôtres. Un film de Ken Loach, c’est d’abord et avant tout le micro tendu à ceux qui n’ont jamais la parole, ceux que les caméras des médias du monde entier ne voient pas. Les négligés, les oubliés. C’est pourquoi chaque film du réalisateur est une découverte, parce que chacun d’eux est sous-tendu par cette volonté ferme de faire découvrir, au public de l’Europe occidentale essentiellement, un peu plus de la face cachée de la réalité, sans prétention aucune, avec cette seule soif d’apprendre et de donner à apprendre.

Car, comme en témoigne l’insertion de deux documentaires inédits dans ce coffret, Ken Loach ne fait que retranscrire dans un langage cinématographique ce qu’il apprend lui-même « sur le terrain », lors de ses enquêtes, de ses recherches, de ses entretiens. La matière du cinéma de Ken Loach se nourrit des expériences de documentariste du cinéaste, autant du point de vue du « contenu » que du point de vue formel. Les histoires racontées par ses films sont celles qu’on lui raconte réellement. Elles n’ont d’autre source que la réalité, d’autre fondement que ces images tournées lors de la grève des dockers de Liverpool en 1995 – Les dockers de Liverpool, ou de celle des mineurs britanniques en 1984-85 – Which side are you on ? . Dans ces documentaires, il y a la révolte sourde, l’esprit frondeur et l’énergie de personnes déchirées par la souffrance des conditions de vie et de travail proches de l’inhumain. Ken Loach filme de très près les visages, écoute le son des voix tremblantes d’émotion.

L’émotion, dans Which side are you on ? , est présente notamment au travers de cette culture ouvrière qui, parce que des hommes et des femmes sont condamnés à faire la grève et vivre de leurs maigres économies pour sauver leur avenir et celui de leurs enfants, s’exprime dans des poèmes, chansons, caricatures et récits personnels. Ce documentaire, qui marque un tournant dans la filmographie de Ken Loach, par la suite composée de films caractérisés par davantage d’humour et de récit, tire son efficacité de la juxtaposition qui y est faite, en guise de fond visuel accompagnant les témoignages des mineurs, de photographies en noir et blanc, frappantes par la révolte qu’elles ont su capter, et de plans fixes sur les visages des mineurs. Si ce documentaire peut se vanter d’un véritable contenu artistique, qui faisait défaut aux yeux des télévisions britanniques, toutes ayant refusé de le programmer – sans doute plutôt pour des raisons politiques, le film dénonçant frontalement la violence de la répression policière qui sévissait alors autour des grévistes – il réside pourtant bien dans cette mise en scène à la fois brute, sans concession, et absolument sincère tant elle se tient à retranscrire parfaitement la beauté des propos chantés ou écrits des mineurs.

Les dockers de Liverpool, quant à lui, séduit moins par lui-même que par le témoignage qu’il constitue de l’investissement de Ken Loach dans la défense de ces 500 dockers licenciés pour avoir refusé de franchir un piquet de grève. Le cinéaste a en effet réalisé ce documentaire dans le but de pallier la déficience des syndicats et des médias, ces derniers se faisant alors très peu le relais du mouvement social.

Carla’s Song est un film sans équivalent dans la filmographie du cinéaste. Absolument indissociable de la personnalité du scénariste Paul Laverty dont le personnage de George, interprété par Robert Carlyle, est le représentant. Il constitue la première pierre d’une collaboration dès lors ininterrompue entre Ken Loach et lui. Paul Laverty en effet, après avoir passé trois ans au Nicaragua en tant qu’avocat pour le compte d’une ONG, y a recueilli de nombreux témoignages qui l’ont conduit à écrire un scénario et à le soumettre à Ken Loach. Celui-ci préparait alors Land and Freedom, consacré à la guerre d’Espagne.

Carla’s song, composé de deux parties, est un des films du réalisateur qui trahit de la façon la plus évidente qui soit la volonté d’établir un lien constant entre le public et l’histoire racontée. La structure même du scénario, coupé en deux parties, la première se déroulant à Glasgow – ville de l’Europe occidentale, l’ « ici », témoin du mode de vie de la majorité du public, la deuxième au Nicaragua, en pleine guerre civile – l’ailleurs, l’ « exotique » à la fois géographique et culturel, témoigne du souci de refléter dans le développement narratif le processus d’apprentissage, de découverte du spectateur. En même temps que George quitte sa ville natale pour accompagner Carla dans son propre pays, en même temps qu’il découvre, bouleversé, le Nicaragua et les événements qui le secouent, le spectateur, dans un processus commun d’identification, entrevoit peu à peu la réalité quotidienne d’un pays déchiré par les violences, qui subit l’ingérence meurtrière du gouvernement américain. Si le film tire l’essentiel de sa force de cette structure presque pédagogique, et si la deuxième partie s’inscrit clairement dans ce que certains appellent la « veine historique » de Ken Loach, le film n’en surprend pas moins par les liens qu’il entretient subtilement avec un « cinéma spectacle » dont le cinéaste s’est pourtant toujours méfié. Ce dernier, effectivement, met en scène de façon plutôt réussie dans la deuxième partie de nombreuses scènes d’action notamment, et une histoire d’amour dès lors devenue le moteur à part entière du film.

My name is Joe est le plus récent (1998) des films proposés par ce coffret Ken Loach Il met en scène un homme et une femme proches de la quarantaine, qui semblent s’être habitués, au fil de leur existence, à la dureté de la vie dans les faubourgs de Glasgow. Comme doués d’une extrême lucidité, tous deux sont désormais sans illusion aucune sur les êtres qui les entourent et sur les rapports humains qu’ils peuvent être amenés à nouer. Cependant, et c’est ce qui rend sincère et touchante cette histoire d’amour, ils ne renoncent pas à croire en l’autre, à accorder leur confiance, une fois de plus, au risque d’être floués et définitivement désespérés. Car Joe et Sarah vivent chacun dans un environnement a priori plutôt déprimant, l’un et l’autre agissant en « mère-poule » auprès de membres des catégories sociales les plus défavorisées. Joe entraîne une équipe de foot, Sarah est assistante sociale. Déployant une énergie sans pareille, ils s’échinent à apporter réconfort et joie autour d’eux, à faire face à la violence du monde dans lequel ils évoluent. Et, si Ken Loach réalise l’un de ses films les plus teintés d’humour grâce, notamment, au personnage de Joe – Peter Mullan, d’ailleurs consacré pour ce film par un prix d’interprétation à Cannes, il y filme aussi sans complaisance la violence de ce monde, et celle à laquelle ont parfois recours certains des protagonistes, sans aucune alternative, afin de surnager. Cette violence est filmée telle qu’elle est, c’est-à-dire irraisonnée, de manière explosive et pour le moins inattendue : Joe qui frappe son ancienne compagne, ou Sabine, droguée, dans le centre médical où on lui interdit de fumer une cigarette, ce qui la conduit à littéralement « exploser » de fureur, piégée déjà qu’elle est dans une situation inextricable d’addiction à la drogue.

Si My name is Joe appartient de façon évidente à cette partie de la filmographie de Ken Loach composée de films « noirs », ici la solution dramatique est nouvelle et sera reprise par la suite à de nombreuses occasions : pour la première fois, le cinéaste ouvre son œuvre à l’émotion, avec une histoire d’amour bouleversante, arme de conquête efficace, s’il en est, du spectateur…

Titre original : My name is Joe

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Durée : 105 mn


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