Cleaner

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Paradoxalement, c’est d’être trop « clean » que souffre le nouveau film de Renny Harlin : se préservant de toute impureté, il se prive également d’une essentielle hémorragie. The end of blood…

Sortie le 14 mai 2008

Que pour son nouveau film Renny Harlin ait préféré miser sur le caractère intimiste de son histoire (relation père/fille ; vieille amitié…), davantage que sur sa simple dimension spectaculaire, surprend d’abord, en raison de la réputation initiale de pur moviemaker du cinéaste. Bien que des films tels qu’Au revoir à jamais aspiraient à donner à l’action une justification « psychologique » (une mère de famille amnésique retrouve de vieux réflexes guerriers lorsque resurgit son passé), jamais le fond ne prit vraiment dans ce cinéma le pouvoir sur la forme. Cleaner se révèle donc d’autant plus intéressant que l’action s’y trouve sans cesse inhibée par une forme de piétinement généralisé. Non que Tom Cutler, l’ex-flic aujourd’hui « nettoyeur de scènes de crime », incarné par le vieil ami Samuel L. Jackson, se démarque par la pertinence particulière de ses propos, le relief de sa conscience de Papa Poule… Simplement, rien chez lui ne laisse jamais transparaître la moindre aptitude à l’héroïsme ; clean, le gaillard le restera jusqu’au bout. C’est une chance pour lui, son honneur se trouvant préservé dans un monde de sourde corruption (flic ou voyou, nous sommes tous frères), un peu moins pour le film.

Que dire? Tout roule ici. La mise en scène est assez sobre (très peu de stylisation, un seul point de mire : la situation, quand bien même elle ne reposerait sur nulle réelle interrogation), les acteurs pas spécialement desservis (le grand Jackson, donc, mais également le flegmatique et rare Ed Harris, l’opulente Eva Mendes, que du bon). Reste que, voulant manifestement jouer cette fois la carte du profil bas, ne se laissant déborder par aucune furie, Renny Harlin esquive ce qui peut-être reste la source d’un minimum de plaisir : la fêlure, la coupure, le petit détail qui confèrerait à ses scènes l’intensité nécessaire pour les vivre réellement, le petit piquant susceptible de faire appréhender la suite avec crainte et impatience. Tel quel, le film se laisse regarder sans jamais interpeller. Que chacun soit davantage que lui-même, un peu plus, un peu moins que ce qu’il montre, très bien. Que tout le monde, comme le disait si bien Jean Renoir (grand créateur de situations, justement), ait ses raisons, bien sûr. Simplement, le cinéma a cette force de tirer son essence d’un jeu très particulier sur les intensités du visible. Filmer du rien, pourquoi pas, à condition que ce rien, ou ce « peu » soit finalement tout.

Ex flic, le nettoyeur s’est donc spécialisé dans l’« après-guerre », sa vie repose désormais sur la méticulosité avec laquelle il s’ingénie à préserver les proches de la victime de toute trace du crime. Aller de l’avant en dissolvant l’« avant » est ainsi sa belle devise. De ce seul sujet aurait pu résulter un passionnant exercice quasi-documentaire sur un art méconnu (Steri Clean, la société pour laquelle travaille Cutler, existe vraiment), un travail sur la subjectivité du "cleaner", sa maniaquerie, sa méticulosité… Quitte à esquiver le spectacle, autant aller jusqu’au bout en osant l’approche soustractive d’une efficacité tendant parfois à la pathologie : combinaison hermétique, sens rare du décrassage, sensibilité au moindre pli, au plus petit rebord. Les relations du nettoyeur avec les acteurs du drame (la police, les cadavres, les meurtriers… les proches) constitueraient ainsi toute une dramaturgie, un suspense minimal de la proximité, de la bonne ou mauvaise distance. De même que la difficulté à préserver son foyer de ces impuretés, en demeurant un bon père compréhensif, bien que centrale dans ce film, aurait pu donner lieu à plus de subtilité, de tact dans l’exposition de cette inquiétude. Au lieu de quoi Renny Harlin, face à tant de matière, se perd dans un méli-mélo policier assez inutile et surtout, douloureusement conventionnel.

Titre original : Cleaner

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Durée : 85 mn


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