Faisons un constat d’entrée : sujets abordés, bande-annonce, statut de comédie sans prétention, casting pépère, City Island est sans nul doute l’équivalent US de notre Petite zone de turbulences national en ce début d’année (et de décennie). Le patron de famille traverse une mini-crise dûe à son âge (la cinquantaine pour Garcia, la retraite pour Blanc), l’épouse est tentée par une aventure extra-conjuguale et les enfants (un garçon, une fille, sans quoi la recette ne serait pas complète) traversent un passage délicat, conséquence de secrets dûment gardés ou par choix discutables (et discutés) du point de vue de l’autorité parentale… Nombreux sont donc les points communs (de départ, du moins) entre les deux films. Voilà ici l’occasion d’établir un parallèle, pas forcément très pertinent mais toujours assez révélateur, entre ces deux films qui, d’emblée, ne resteront pas dans les mémoires, mais se fondent naturellement dans les systèmes de production de masse de leur pays respectif, deux des plus importants de la sphère cinéma (au moins du point de vue économique et historique).
Premier fait, de taille : là où le pitch (cette petite phrase sur les affiches, censée séduire le futur spectateur essayant de résumer la problématique par une accroche facile, simple, publicitaire) d’Une petite zone de turbulences s’étendait sur la totalité de son scénario, celui de City Island s’arrête au bout d’un quart d’heure notamment grâce à l’intervention de deux éléments bienvenus. D’abord une amie (Emily Mortimer) de Vince (Andy Garcia), rencontrée dans son cours de théâtre et qui aura un oeil extérieur sur tous ses petits ennuis, permettant d’aérer ainsi l’intrigue principale, et l’arrivée d’un élément perturbateur au sein de la cellule familiale : l’intrusion d’un fils improbable, un taulard d’une bonne vingtaine d’années dont Vince serait le père.
Même si au final, City Island se révèle moins déjanté qu’il n’en a l’air (la faute peut-être à une résolution très sage, bien que largement acceptable), le ton est assez survolté dans l’ensemble, manquant peut-être de cohérence mais se réservant de la place pour des scènes où tout le monde semble y trouver son compte, spectateurs, comédiens et réalisateur. Des scènes de repas, où le tempérament semble prendre le dessus sur l’écriture des personnages, à l’audition d’Andy Garcia dans un rôle secondaire pour le "nouveau film de Martin Scorsese", en passant par les cigarettes que tous les membres de la famille fument en cachette (sur le toit, dans la salle de bains où pendant l’absence des leurs). Voilà où la comédie américaine semble l’emporter sur la comédie française : le rythme du film semble parfois imposé par les personnages et non par l’image, celle-ci ne sachant plus où se fixer, la vitesse de montage s’accélérant, comme pris par surprise par les répliques des uns qui fusent ou les réactions des autres qui les commentent, par un regard, une moue, une attitude. Entre la fierté du père, les railleries de la mère, les maladresses de la fille, la satisfaction du fils à avoir déclenché les hostilités ou la gêne de l’invité-surprise à se demander ce qu’il fait là, les personnages semblent donc échapper à leur création sur papier, imposant un rythme qui leur est propre, là où ceux de la comédie d’Alfred Lot subissaient celui dicté par l’image, le metteur en scène.
Cette réussite passe aussi par une exubérance peut-être un peu lassante à la longue mais qui triomphe dans le court terme. Les comédiens de City Island ont l’air de jouer sans retenue, n’hésitant pas à se vautrer dans la caricature à outrance. Procédé certes un peu limité mais qui a le mérite d’installer une certaine connivence avec son spectateur. La comédie écrite par Michel Blanc (d’après un livre de Mark Haddon) révèle, quant à elle, dans le jeu de l’acteur de comédie au sein de notre production nationale, cette tendance déplorable et malheureusement assez traditionnelle car pratiquée depuis un bon moment déjà (une des tares de la comédie de boulevard à la Feydeau notamment) : cette posture consistant à jouer le personnage d’idiot tout en se réservant une part d’intelligence, comme redoutant le ridicule et l’amalgame qui pourrait être établi après l’interprétation d’un personnage de crétin avec son nom d’acteur. Ce n’est pas forcément de retenue dont il s’agit ici mais de ce qu’on pourrait apparenter dans le domaine sportif à boxer dans les cordes. "Je joue l’idiot mais ne le suis pas". Andy Garcia, lui, semble perdre le contrôle de ce gardien de prison très digne et choisit de tout lâcher, quitte à aller trop loin.
Aller trop loin ou pas assez ce serait, pour synthétiser ce qui séparerait ces deux comédies (généraliser aux échelles nationales serait sans doute trop hâtif ici mais pas forcément inexact…). Dans l’un des deux cas on a osé, on a abordé le sujet frontalement, en risquant la surdose de temps en temps, et de l’autre on a esquivé, hésité, pris des précautions, mis du sentiment (inutilement) de peur de manquer de séduction. Dans l’un des deux cas, on a franchement ri, dans l’autre on se demande encore où est le film.