Cinéma, Cinémas

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La fièvre de la Nouvelle Vague ayant déjà disparu lors de l´apogée du médium télévisuel, est donc né ce programme racontant les mythes du cinéma existants ou passés, employant le seul langage passionnel : un aveu d´amour et de passion.

Il y a 23 ans, Michel Boujut recevait le prix du meilleur producteur pour l’émission « Cinéma, Cinémas », durant la Nuit des 7 d’Or. Ce prix fut partagé avec ses collaborateurs Anne Andreu et Claude Ventura. La fièvre de la Nouvelle Vague ayant déjà disparu lors de l’apogée du médium télévisuel, est donc né ce programme racontant les mythes du cinéma existants ou passés, employant le seul langage passionnel : un aveu d’amour et de passion.
Le langage réfléchi et soigné du cinéma.

Aujourd’hui, le « marché » du cinéma (oui, c’est bien le mot, car le cinéma n’est au fond qu’un business, rentable ou non, dont la qualité est mesurée par les chiffres) s’écroule sous l’offre, et n’a pas le temps de satisfaire la demande. La télévision nous dicte notre mode de vie, notre manière de penser – s’il faut penser, et détermine nos choix. Les années 80, « Cinéma, cinémas », proclamaient déjà la mort du cinéma.

A l’occasion de la mort de Rita Hayworth en 1987, un des collaborateurs de l’émission, André S. Labarthe, déclarait : « Le triomphe obscène d’une télévision omniprésente et omnipotente. Une télévision qui doit tout, qui sait tout, qui peut tout, qui a tous les droits : celui d’écouter en portes, de fouiller les armoires, d’ouvrir les lits. Une télévision liseuse de draps pour travailler vos mémoires de cinéphiles assoupis. »
Aujourd’hui on ne lui trouvera aucun équivalent, à part des émissions bourrées de bandes- annonces, la peopolade autour, s’agitant uniquement pour vendre ses produits. Le cinéma est un produit à vendre et à acheter, tout le monde le sait, tout le monde le fait. Ce qu’on a déjà oublié c’est que la passion du cinéma ne se résume pas au nombre de films vus, mais au mérite de son approche.

 
 
 
En 1982, Pierre Desgraupes, le directeur des programmes d’Antenne 2, décide de lancer une nouvelle émission sur le cinéma, dirigée par Michel Boujut, et lui donne la plus totale liberté d’expression. C’est un véritable laboratoire de cinéma, où l’on peut expérimenter, réaliser ses idées de cinéphile, partager sa passion avec le spectateur.
Chaque interlocuteur (scénariste, réalisateur, comédien ou technicien) a le droit à sa mise en scène, sa lumière, sa couleur, son décor, pour faire ressortir sa personnalité. Faye Dunaway est filmée dans sa chambre d’hôtel, allongée sur son lit, détendue et sensuelle avec sa cigarette allumée. Pascale Ogier, frêle et fragile, lit et réagit aux questions écrites sur des petits bouts de papier blanc. Jacques Dutronc fait semblant de répondre sans enthousiasme aux questions laconiques d’Anne Andreu, enregistrées sur un dictaphone. A la fin, il laisse les questions au téléphone décroché dans une cabine vide.
L’interlocuteur, quel qu’il soit, est à l’aise, écouté et respecté – on préfère le silence que l’interruption pour faire sortir la réponse qu’on aimerait entendre. Ainsi on voit le portrait du personnage s’esquisser devant nous – on saisit l’essence… C’est étonnant comme Catherine Deneuve, la diva du cinéma français – quelqu’un l’a appelée la plus belle femme du monde – se confie à Labarthe, ce prêcheur du rêve cinématographique ! En lisant l’extrait de l’œuvre de Villiers de l’Isle – Adam – d’une voix douce mais confirmée, on suit scrupuleusement les lignes du visage parfaitement dessinées.
 
 
 
La télévision avait éliminé le silence, trop dangereux, car promenant les pensées dans les champs interdits. La télévision d’aujourd’hui est devenue une radio avec une image de confort, sans ombre. On pourrait se consoler par la sortie, grâce à Jean-Pierre Jeunet, de douze épisodes de cette émission, mais combien de temps encore la télévision restera-t-elle aussi pauvre en réflexion, en point de vue, en ambition artistique ? « Les images plates, paresseuses, mal cadrées, mal éclairées, mal mises en scène, des images qui bluffent… ».

« Cinéma, cinémas », c’est comme ces bobines de films trouvées dans la cachette du dictateur roumain Ceausescu. Croiriez-vous qu’on y a trouvé Vérités et mensonges d’Orson Welles ? Oserait-on diffuser aujourd’hui le court-métrage d’un réalisateur comme Luc Moullet, qui nous livre ses angoisses de création ? Cela nuirait certainement à la distribution de ses films. Aki Kaurismaki, serait-il aussi franc et « imprudent » en parlant de trilogie sur la bourgeoisie – son domaine étant la «classe » des losers… Peter Brooks conseillerait-il d’« aller à l’essentiel » de manière aussi impudique ?

Le temps d’un épisode de « Cinéma, cinémas », on a pu effleurer le temps, toucher cet esprit de liberté qui n’existe plus. La télévision, qui participe au lissage général, ne possède plus ce secret du beau et de l’impérissable. « Cinéma, cinémas » est un témoignage de la stagnation.


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