Ces Belges qui font le cinéma français

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Une série d’entretiens qui permet de cerner la force et la richesse d’un cinéma proche et pourtant si singulier.

Pays proches et éloignés à la fois, qui se renvoient souvent la balle par des blagues lourdingues mais pleines d’humour, la France et la Belgique sont sœurs en cinéma. C’est une certitude depuis quelques décennies déjà, favorisée bien sûr par une langue commune, le français, et une porosité des frontières qui fait que les cinéastes et les comédiens se sentent bien d’un côté comme de l’autre de la frontière. Pourtant, France et Belgique sont bien différentes, on ne saurait vraiment dire en quoi, et c’est en fait ce qui explique la richesse de leurs échanges. Les liens cinématographiques existaient déjà aux premiers temps du cinéma et les artistes belges, quel que soit leur mode d’expression (cinéma bien sûr, mais aussi littérature, arts plastiques et théâtre) ont toujours eu besoin d’être reconnus d’abord par la France pour être ensuite appréciés dans leur pays d’origine, un peu comme ce qu’il se passe avec le Québec. Mais la Belgique a depuis toujours été considérée comme le pays des chefs opérateurs, si bien qu’on a longtemps parlé d’une école belge de la photographie.

Il fallait se pencher sur ce problème et tenter de répondre aussi et surtout à la question : comment expliquer que tant de Belges francophones contribuent si pleinement à la réussite du cinéma français, surtout à un moment où l’on vient de convoquer des états généraux du cinéma pour tenter d’endiguer son effondrement. On pourrait même dire avec certains que le cinéma français est encore debout grâce aux Belges, et pas seulement les actrices et les acteurs. Pour tenter de trouver une réponse à toutes ces questions qui nous taraudent, Louis Héliot et ses contributeurs ont rencontré des artistes et ce livre est la somme de leurs entretiens avec eux. Ces échanges en effet reviennent sur le parcours artistique, les rencontres et les études de ces grands artistes qui font le cinéma actuel.

On y rencontrera donc deux comédiens hors pair révélés par le génie des frères Dardenne : Emilie Dequenne et Olivier Gourmet, mais aussi un acteur devenu depuis essentiellement réalisateur : Lucas Belvaux. Deux cinéastes belges aussi qui ont su créer leur propre style dans des genres pourtant complètement différents : Fabrice du Welz et Joachim Lafosse. Et bien sûr, puisque c’est le nerf de la guerre, ils rencontrèrent une productrice belge qui vit et travaille à Paris : Anne-Dominique Toussaint, ainsi que deux grandes techniciennes et artistes : la scripte Véronique Heuchenne et la costumière Pascaline Chavanne. Il en manque tant à l’appel qu’on espère au moins deux ou trois autres tomes pour s’entretenir avec François Damiens, Virginie Efira, Benoît Poelvoorde, Cécile de France, Mathias Schoenaerts, Jérémie Renier, Jean-Claude Vandamme, et tant d’autres… Ils sont tellement doués qu’on en vient parfois à se demander si Louis Garrel ne serait pas un peu belge lui aussi…

Quant à Louis Héliot, le directeur de cette magnifique publication, il était le plus à même de la mener à bien puisqu’il est conseiller cinéma et responsable de la programmation du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris depuis 1992. Il organise d’ailleurs plusieurs festivals annuels dont le Court en dit long (compétition de courts métrages belges ou franco-belges) et la Quinzaine du cinéma francophone (sélection de films inédits en provenance des pays de la Francophonie). J’en profite pour saluer au passage mon ancien élève, Harpo Guit et son frère Lenny, Français qui ont réalisé en 2021 à Bruxelles leur premier long-métrage, Fils de plouc, remarqué au festival de Sundance.

Ces belges qui font le cinéma français, sous la direction de Louis Héliot. Les Impressions nouvelles, Bruxelles, 2022. 240 pages, 22 euros. Distribué par Harmonia Mundi.

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