Ce cher mois d’août (Aquele querido mês de agosto)

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Réussi dans son genre, ce film n’en prend pas moins le risque de « rater » quelque peu son spectateur…

Embarras, à la découverte de Ce cher mois d’août, second long-métrage de Miguel Gomes, jeune cinéaste portugais révélé il y a cinq ans avec La gueule que tu mérites, fiction baroque trouvant inspiration dans la – méconnue – crise de la trentaine. Embarras car Ce cher mois d’août est de ces films dont on entendit tellement de bien, dont l’enthousiasme de ceux qui eurent le privilège de le découvrir bien avant nous semblait si spontané que la possibilité, l’hypothèse même d’une déception ne se posa à vrai dire jamais vraiment. Reste qu’à l’heure de l’expression de son propre ressenti, votre serviteur se révèle partagé entre volonté de dire les choses franchement (en gros : bof) et devoir de donner à cette réserve la forme – critique – qu’elle mérite. Aussi, se prenant au jeu relativiste ayant permis au cinéaste de faire de Ce cher mois d’août le film qu’il est aujourd’hui (initialement empêché par des aléas de production et des soucis de casting durant le tournage d’une fiction d’amourette estivale, Gomes eut la séduisante idée de profiter de ces problèmes pour mettre en branle la fiction de leur résolution, faisant ainsi film de la joyeuse contiguïté scène/coulisses, « mise en place »/« déroulé » de la fiction), ce dernier voit ici l’occasion rêvée d’interroger le concept même d’ « évaluation ».

Car pris pour ce qu’il est, Ce cher mois d’août est un – long – film au fond pas désagréable, dans tous les cas jamais antipathique, dont la vertu première serait même de laisser le spectateur libre de toute contrainte, du strict point de vue de la simple lecture du récit. On relève donc de loin en loin que Tânia, adolescente de quinze ans et chanteuse dans un groupe de variété itinérant de la région d’Arganil, aime son cousin Helder, guitariste du groupe, ce que son père, le torturé Domingos, pianiste de son état (toujours pour le même groupe), voit bien sûr d’un mauvais œil. Se comprend également que la femme de Domingos, mère de Tânia, aurait disparu un beau jour, sans laisser d’adresse, sans doute un soir d’été… Ne pas s’attendre cependant à ce que tout le film fasse un plat de ce sujet typique de mélodrame. La question du manque, des amours douloureuses, ne prendra corps ici que de manière spasmodique, le temps d’une querelle père/ fille, d’un échange en bord de mer… Rien de bien grave, de toute façon, nulle urgence à faire montre d’une quelconque pulsion, d’un moindre gouffre existentiel : autant enrober le tout dans les paroles fédératrices d’un chant d’été. Que l’on ne lise ici aucun reproche, bien au contraire : cette manière de faire fi de tout drame a sa séduction, donne au spectateur l’opportunité de ne prendre de cette affaire que ce qui lui parle le plus, et ainsi de fabriquer par lui-même, et surtout  pour lui-même, sa propre fiction.

Cette ivresse des possibles face au débordement du récit par la saccade ou la langueur, la fluctuation des cadres et figures, a d’ailleurs une saveur familière, voisine de celle ayant fait des films de Jean-François Stévenin ou Jacques Rozier les sublimes monstres « audio-visuels » qu’ils sont encore. Quelle cohérence entre le premier et le dernier plan de Mishka (2001) ? Que s’est-il vraiment passé, Du côté d’Orouët (1973) ? Who cares ? À ceci près que ces films-là avaient encore pour ligne directrice et matière première le goût de l’éclaboussure (davantage que de la laideur), trouvaient dans leurs protubérances occasion de rattrapage express. Les divagations de ce cinéma tenaient avant tout de l’art du funambule, requérant mine de rien une très grande agilité dans l’articulation de leurs points de rupture. Là où Miguel Gomes semble s’abandonner un peu au confort d’un flottement figuratif et sensoriel à la séduction finalement bien éphémère. Cherche-t-il réellement, au fond, à tirer des conditions si particulières d’élaboration de ce film plus que ce qui se laisse bêtement  voir ? Ne s’égare-t-il pas un peu à privilégier le seul fil à la couture ?

En l’état, Ce cher mois d’août ne serait davantage que sa seule idée, une note d’intention, un carnet de bord grand format à prendre comme à laisser, selon le charme de telle mélodie, la couleur de tel T-shirt, la couture de tel blue jean… Comme tout amour de vacances ou presque, le flirt Helder/ Tânia aboutira à quelques sanglots et regrets, avec tout de même cette petite particularité (peut-être le plus bel instant du film) que Tânia semblera se rendre compte, alors même que la passion semblait la brûler, qu’au final, tout ceci n’est pas bien sérieux. Rire de ses propres affects, s’extraire soudainement du premier degré un peu risible de la bluette, tout en s’épargnant le labeur de la grossière explication de texte. Cette confusion rieuse est la marque d’un réel positionnement, d’une véritable intention artistique de la part du cinéaste, empêchant de conclure à une quelconque perte de vue de son entreprise. N’aurait-on pas juste un peu gagné (en plaisir, en folie…) à gratifier cette intention d’un peu plus… de vie, de sang, d’incarnation ?

Titre original : Aquele Querido Mes de Agosto

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