Caravage

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Faut-il séparer l’artiste de son œuvre ? Michel Placido ne se pose pas la question dans son dernier long métrage, Caravage. Il répond que non, au moyen d’un grand ballet esthétique.

Placido prend parti

La mort de la vierge est la peinture qui doit à Michelangelo son caractère subversif, s’accordant le droit de transposer le corps de Marie à celui d’une « putain » rencontrée au cours de l’une de ses sorties nocturnes dans des maisons closes bannies d’une Italie dogmatique et moyenâgeuse. Dans Caravage, Michel Placido reconstitue les circonstances qui ont mené le peintre à mettre à mort un rival de sa caste, qui s’opposait à ses choix politico-esthétiques.  Autour de son procès en 1609, le réalisateur investit un personnage fictif, l’Ombre, jouée par Louis Garrel, dans le but d’enquêter pour l’Eglise sur les circonstances du meurtre tout en cherchant insidieusement à savoir si les créations de Michelangelo peuvent être qualifiées d’œuvre d’art, ce qui semblerait-il, apparaissait aux yeux du Pape comme un motif de grâce. Quand l’enquête commence, le Caravage s’est exilé avec l’aide de la famille Colonna dont la protagoniste principale est incarnée par Isabelle Huppert. Deux temporalités se mêlent au moyen de nombreux flashbacks issus des témoignages de proches du peintre, recueillis par Garrel. Placido aborde Michelangelo (Riccardo Scamarcio) par le prisme d’un charisme et d’une virilité exacerbés, faisant de lui un homme qui impressionne moins par son pinceau que par son sex-appeal et une âme torturée dont seule sa dimension lacrymale est justifiée. Sensible et sensuel, Caravage a raison, dès le début, c’est un artiste qui prend la pose et s’impose à la manière d’un anti-héros. Néanmoins, le réalisateur charpente un suspens via la figure de l’Ombre, séducteur sévère malgré lui. En somme, l’enjeu de Caravage se résume à ce combat de coqs entre deux bêtes qui ne se croiseront qu’une fois pour se défier, à la fin du film.

Télénovela caravagienne

A la manière du Michel-Ange d’Andrey Konchalovsky (2019), Placido reproduit et accroit un climat humide, embrumé et poussiéreux au travers d’un décor pensé jusqu’aux détails, parfaitement bien établi, de sorte à ce que les plans apparaissent comme des tableaux. C’est à la fois l’époque et l’emprunte stylistique du peintre qui sont traduites en de nombreuses toiles-séquences impeccablement corrélées les unes aux autres. Par ailleurs, ce microcosme est subsumé d’une grande modestie de la part de Placido, qui ne multiplie pas les gros plans, de sorte à ce que ce dernier soit toujours au second plan, et qu’il n’agisse que comme un encrage inébranlable et gage de qualité pour le spectateur. Ce grand soin est apporté à tous les lieux extérieurs et intérieurs investis par le film, auxquels s’ajoute une lumière froide et menaçante pour les premiers, tamisée mais vive pour les seconds. Les espaces sont souvent bondés d’objets amassés et débarrassés, mais la caméra contourne l’asphyxie au détour de cadrages qui leurs donnent toujours un sens. Placido n’abuse pas du pictural et se dérobe avec justesse à la caricature grossière, puisque tout article est efficient. Pourtant, cette révérence tirée à l’Italie du 17ème siècle et à son artiste est sans cesse bafouée par les jeux d’acteurs quant à eux trop pompeux, ou à l’inverse dévitalisés. Louis Garrel brille les premières minutes du film par son regard mystérieux et condescendant, mais il s’avère que c’est cette moue arrogante et fatigante qu’il abordera tout au long du film, si bien que sa posture de sage tourne vite au comique de répétition. Les gros plans en contre plongée qui dessinent ses cernes et ses sourcils ténébreux le font apparaitre comme une figure de monstre pédant qui ne sait plus quel est son rôle. Isabelle Huppert bien connue pour sa plasticité, capable de changer de visage avec souplesse, est réduite au mutisme et au rôle de la noble d’âge mûre à qui le peintre en vogue n’a pas voulu faire l’amour. Du Penseur de Rodin au mannequin parfum des années 2000, Scamarcio se contorsionne autrement à chaque gros plan qui met en valeur ses yeux brillants et ses cheveux huileux, tentant en vain de saisir ces moments d’introspection douloureuses qui l’ont fait connaitre comme l’artiste de l’auto-flagellation morale par excellence. Placido passe à côté et s’évertue à performer par la mise en scène une roue de Paon grotesque. Michelangelo écume les bordels et les quartiers populaires dans le but de transcrire en peinture cette misère humaine qu’il capte et mystifie. C’est en cela que se résume l’identité politique et esthétique de Caravage. Pourtant, cette valeur est supplantée par la présentation des rencontres qu’il fait comme des romances éphémères, Michelangelo est traversé par d’intenses élans de pitié et d’admiration pour des personnages secondaires à qui Placido n’accorde aucune place. Se succèdent donc des épisodes sensationnels et pathétiques, d’amour, de déchirements, de joutes verbales alambiquées et de pastiches de capes et d’épées. Ces anecdotes se succèdent au gré d’une cadence essoufflée et d’une musique tantôt dramatique tantôt suspendue, qui entrainent une confusion : l’intention du réalisateur se situe entre la biographie appliquée digne d’un cinéma d’auteur, et le blockbuster. La deuxième option l’emporte.

Caravage carnage

Dans ce long métrage de deux heures, Caravage est parodié. Il sombre dans la folie de celui qui n’est pas compris, abandonné par ses soutiens d’avant sa fuite et banni par un Etat dont l’Eglise est maitresse. Néanmoins, il semblerait que les convictions politiques de Michelangelo aient guidé sa vie et son œuvre, d’une manière bien singulière, et Placido ne nie pas l’envie de les faire transparaitre dans son film. D’abord, Caravage n’est pas athée, il est profondément croyant, mais fidèle à une religion qui existe par le peuple et qui ne la toise pas du plus haut. Ce par quoi il est animé est schématisé dans la création de Placido, si bien que Caravage apparait comme un homme qui peine à réprimer ses désirs de luxure, au profit d’une vie autarcique et épicurienne. Mais ce n’est pas là que se joue la tourmente du peintre. Par ailleurs, le réalisateur ne laisse pas le choix au spectateur de pouvoir entendre cette complexité inhérente à la vie de l’artiste. Les péripéties trop nombreuses se heurtent les unes aux autres, ce qui a pour conséquence de nier tout discours. Le spectateur est maintenu captif de ce rythme et prié de rire ou pleurer au gré d’une bande son dénuée de finesse, qui lui ôte toute permission de contempler, apprécier, juger les figurations et gestes. Il est transbahuté de déboires en bagarres, dont la violence emprunte elle aussi le chemin du clownesque. Ce film est un objet de consommation dans lequel les acteurs se mirent, sans compter que Placido et son fils se sont octroyé un rôle. Caravage est un joyeux boucan, dans lequel l’hyperbole masque l’inconsistance.

Titre original : L'Ombra di Caravaggio

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Durée : 118 mn


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