Bilan du 18e Festival du Film d’Arras (3 – 12 novembre 2017)

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La compétition cuvée 2017 du Festival d’Arras qui s’est achevée dimanche, s’est avérée être de très bonne qualité. Bilan

Le coeur historique d’Arras, dominé par son admirable beffroi, a une nouvelle fois battu au rythme du septième art avec la dix-huitième édition du Arras Film Festival qui s’est achevée dimanche dernier sur un constat de succès toujours grandissant. Avec pas moins de 72 longs métrages projetés dans les différentes sections (Compétition, Avant-premières, Découvertes, Visions de l’Est, Cinémas du monde et Festival des enfants), ce festival est devenu au fil des ans une véritable institution pour la région des Hauts de France, et son immense mérite est de rassembler en un même moment, cinéphiles, grand public, jeunes, moins jeunes, enfants et public scolaire. Il fallait voir l’affluence aux projections des films en compétition ou à chaque fois la grande salle du Festival était comble, pour se rendre compte de l’engouement que suscite cette manifestation non seulement chez les professionnels mais aussi et surtout chez un public ayant soif de découvrir des films venant d’autres horizons que celui souvent morne que leur propose leurs salles de cinéma habituelles. On se doit de rappeler aussi le travail colossal qu’effectuent chaque année Eric Miot et Nadia Paschetto, respectivement Délégué général et Directrice du festival, pour sélectionner les films en compétition, en visionnant des centaines de long-métrages pour n’en retenir finalement que neufs. C’est un travail de longue haleine et de patience révélant une curiosité insatiable et un amour du septième art profond, qui force est de constater, aboutit toujours à des sélections de très grande qualité.

Outre la sélection de films en compétition à laquelle nous intéresserons ici, nous avons pu voir dans le cadre de la section Révolutions russes, La fin de Saint-Pétersbourg, chef d’œuvre de Vsevolod Poudovkine (1927), un des maîtres du cinéma soviétique de la période muette. L’auteur de La Mère (1926) y raconte la révolution d’Octobre vue à travers le regard d’un jeune paysan russe poussé par la famine à l’exode pour aller travailler dans une usine puis son enrôlement dans l’armée. La puissance narrative de Poudovkine est exceptionnelle notamment grâce à un montage nerveux, rapide, d’une grande modernité. Le maître russe réussit une narration du processus révolutionnaire à la fois symbolique et réaliste avec des plans extrêmement marquants – comme ceux des charniers des tranchées des champs de bataille symbolisant en quelques images la guerre. Commandé par le pouvoir soviétique pour fêter le dixième anniversaire de la révolution d’Octobre, ce film fut indéniablement un instrument de propagande mais il n’en demeure pas moins qu’il est un chef-d’œuvre du cinéma soviétique.

 

La fin de Saint-Petersbourg (Vsevolod Poudovkine, 1927)

Cheminement intérieur
La compétition présentait, elle, des films venant très majoritairement, comme à chaque édition, de l’est européen c’est à dire de pays de l’ex-bloc soviétique avec quelques exceptions géographiques qui viennent néanmoins s’y glisser comme la présence cette année du film du norvégien d’ Arild Andresen Handle with care et celui du belge Samuel Tilman, Une part d’ombre. Le film de Tilman nous racontant la « complexité » d’un père de famille « irréprochable » et pourtant soupçonné de meurtre, nous est apparu anecdotique étant donné la force bien supérieure du reste de la compétition. Handle with care, en revanche, bien que son sujet (les rapports père fils, l’adoption, le deuil) ait été maintes fois traité, est un film bouleversant, évitant tous les clichés du genre et les bons sentiments. Andresen nous narre les rapports difficiles d’un père veuf avec son fils adoptif de 6 ans. Le film nous emmènera de Norvège en Colombie, pays natal de Daniel, le petit garçon… Si ce film sonne très juste c’est certainement en grande partie grâce à Kristoffer Joner dans le rôle du père. L’acteur livre ici une performance exceptionnelle, toute en nuance. On décèle chez ce père un cheminement intérieur et c’est ce qui nous bouleverse.

 

Handle With Care (Arild Andersen, 2017)

Le cinéma polonais était lui aussi présent dans cette compétition avec I’m a killer de Maciej Pieprzyca. Nous sommes dans les années 70 dans une petite ville du sud de la Pologne. Un jeune policier (Ksenija Marinkovic) va être chargé de l’enquête sur des mystérieux crimes en série de femmes. Tiré d’une histoire vraie, le grand mérite de ce film est de nous plonger dans l’atmosphère de la bureaucratie corrompue de la Pologne des années 70, mais nous nous demandons si les décors et le grain vintage de la pellicule n’y contribue pas plus qu’un récit qui en lui-même manque de rythme et de suspense. Notons aussi la ressemblance indéniable de ce film quant aux rapports entre le policier et le suspect n°1 avec le chef d’œuvre de Tavernier Le Juge et l’assassin (1976).

Zagros, film turquo-belge de Sahim Omar Kalifa est l’histoire d’un crime passionnel. Très bien mené et, là aussi, remarquablement interprété avec dans le rôle de Zagros, Feyyas Duman, et dans celui de sa femme Halima Ilter, le film traite avec brio du déracinement et du sujet on ne peut plus actuel de l’immigration – mais surtout d’une tragédie amoureuse.
Une tragédie, c’est aussi le scénario de The Line, signé par le Slovaque Peter Bebjak, qui nous narre les déboires d’Adam, trafiquant de cigarettes sur la frontière ukraino-slovaque au moment où la Slovaquie s’apprête à rentrer dans l’Union européenne, ce qui aura pour effet d’entraver sérieusement sa tâche, les frontières extérieures de l’espace Shengen faisant l’objet d’une surveillance renforcée. Ce film ressemble au Parrain (premier volet du triptyque) qui aurait été transposé dans les Carpates tant l’atmosphère mafieuse teintée de religiosité et de vie familiale y est très bien exprimée. Mais en dépit de qualités indéniables, le film pêche à cause d’un récit qui semble chercher à tâtons une issue.
De tragédie il n’y a pas dans La tête à l’envers, seul film de la sélection qui à ce jour a trouvé un distributeur pour la France. Est-ce un hasard ? Sans doute pas, ce qui relève de la comédie (de mœurs ou sentimentale), facile à diriger, étant très vendeur. Signé par l’Autrichien Josef Hader, La tête à l’envers, s’avère être le film le plus léger de cette compétition – sympathique certes mais sans véritable envergure.

Des hommes révoltés

Ce qui, en revanche, n’est pas susceptible de commerce ou de transaction (ou beaucoup moins), c’est lorsqu’une oeuvre évoque l’homme, sa liberté, sa conscience, son courage, sa capacité à se révolter aussi. La révolte – dans le sens d’Albert Camus, c’est dire « non » quand la nature humaine est attaquée, dégradée –, est justement le thème central qui traverse trois grands films présents cette année à Arras : Arrhytimia du Russe Boris Khlebnikov, Breaking News de la Roumaine Julia Rugina et The Miner de la Slovène Hanna Slak. Dans ses trois films, assurément les trois plus importants de la sélection, les cinéastes dressent le portrait d’hommes qui décident d’écouter leur conscience dussent-ils en assumer les conséquences funestes pour leurs vies matérielles ou affectives. Dans Arrhythmia, triple production russe, danoise et allemande, Khlebnikov nous raconte l’existence d’Oleg (Aleksandr Yatsenko), la trentaine, médecin urgentiste de son état. Il se consacre corps et âme à son métier mais il a un fort penchant pour la bouteille. Son couple avec Katya est menacé parce qu’il semble ailleurs, hébété qu’il est par la maladie et la mort qu’il côtoie tous les jours. Oleg à première vue est en perdition, pourtant c’est un homme libre qui à chaque instant de sa journée de travail sauve des vies en dépit des nouvelles règles qui sont instituées pour rentabiliser les soins et contre lesquelles il s’insurge. Arrythmia est un magnifique film d’amour mais plus encore il donne en quelque sorte une définition de ce que pourrait être « l’âme russe », sorte de fusion des contraires entre une certaine démesure, une empathie et une solidarité prononcée envers son prochain, de la violence soudaine, de l’abattement mais aussi une foi – pas nécessairement religieuse –, existant envers et contre tout.

 

Arrhythmia (Boris Khlebnikov, 2017)

La foi, celle dans son métier de journaliste, Alex Mazilu, le héros de Breaking News, l’a au contraire perdue à l’issue du film de Lulia Rugina. Mais ce parcours, ce cheminement s’est effectué pour le meilleur et au travers de la découverte posthume de son caméraman dont il s’aperçoit après la mort accidentelle de ce dernier dont il est en partie responsable, qu’il ne le connaissait pas. Ce film est d’abord une charge contre le journalisme sensationnaliste (celui des chaînes d’infos en continu). Alex va progressivement au cours du film se rendre compte de l’absurdité de son métier qui consiste à filmer des catastrophes pour faire de l’audience. Mais ce qui va le changer pour toujours, c’est l ‘enquête sur son confrère mort, en se rendant dans sa ville natale rencontrer sa famille et singulièrement sa fille, Simona, interprétée par la jeune Voica Oltean qui crève véritablement l’écran. L’adolescente fait penser à la jeune Nastasia Kinski. Même si les deux actrices ne se ressemblent pas trait pour trait, c’est vraiment à l’héroïne de Paris Texas  (Wim Wenders, 1984) que Voica fait penser. Elles ont la même beauté, le même éclat, la même force. Il y a dans ce film, en définitive, une étude remarquable des sentiments de culpabilité et de la perte, de la prise de conscience d’un homme de l’essentiel que constitue une vie, et des instants de bonheur révolus…

 


Breaking News (Lulia Rugina, 2017)

Antigone en Slovénie

The Miner d’Hanna Slak se déroule lui en Slovénie. Alija y travaille dans une mine de charbon. On lui ordonne d’aller explorer une mine abandonnée avant qu’elle soit vendue. Il va y découvrir des ossements qui se révéleront être les restes d’un charnier. Tiré d’une histoire vraie, The Miner, en creux, met en jeux des blessures historiques par strates : celles de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre d’indépendance et celles aussi plus brûlantes encore de la guerre civile de Yougoslavie et notamment du massacre de Sebrenica en juillet 1995. Pour Alija, que faire devant l’ordre qui lui est donné de ne rien dire, de ne rien faire des ossements que tout le monde, autorités comme population, préfère oublier ? Tout le film va montrer un homme qui dit « non ». En sorte qu’Alija va se muer en une véritable Antigone – l’héroïne de Sophocle qui décide de braver l’interdiction, émise par Créon, d’enterrer son frère. La réalisatrice, Hanna Slak, que nous avons rencontré dit bien qu’il ne s’est pas agit pour elle d’aller fouiller le passé mais plutôt de s’en libérer. Car, en effet, comment envisager une société apaisée, alors qu’y rôdent encore des fantômes ? On touche là à un problème aussi vieux que l’humanité. Les vivants ont toujours eu besoin d’enterrer leurs morts pour continuer à vivre. La cinéaste affirme que son héros dépasse « le cynisme post-moderne » en choisissant de rendre hommage à ces hommes et à ces femmes entassés dans le fond d’une mine, quoiqu’il en coûte. Pour elle, le mineur est le représentant d’une « troisième voie humaniste » qui laisserait de côté les dissensions idéologiques héritées des guerres successives. Elle affirme aussi qu’il s’agissait pour elle de rendre hommage à travers Alija à la classe ouvrière. Autre point primordial : Alija est d’origine bosniaque donc musulman européen. En portant haut la valeur de dignité humaine, il fait la preuve que toutes les communautés (de race, de religion) peuvent être embrassées de la même manière par l’Europe.

 

The Miner (Hanna Slak, 2017)

En définitive, nous pouvons affirmer que la compétition à Arras cette année encore a été d’un très bon niveau. Hélas, la très grande majorité des films ne trouvera pas de distributeurs pour la France, les voies du cinéma-business étant souvent impénétrables. Raison de plus pour courir à Arras l’année prochaine afin de voir des films qui ne laissent jamais indifférents et ouvrent toujours une fenêtre sur des pays que nous connaissons peu.
 

Palmarès :

Atlas d’or / Grand prix du jury
Décerné à :
THE LINE (Ciara) de Peter Bebjak (Slovaquie, 2017)

Atlas d’argent / Prix de la mise en scène
Décerné à :
ZAGROS de Sahim Omar Kalifa (Turquie-Belgique, 2017)

Mention spéciale du jury
À Aleksandr Yatsenko pour son interprétation dans ARRHYTHMIA de Boris Khlebnikov (Russie, 2017)

Prix de la critique
Décerné à :
ARRHYTHMIA DE Boris khlebnikov (Russie, 2017)

Prix du Public
Décerné à :
ZAGROS de Sahim Omar Kalifa (Turquie-Belgique, 2017)

Prix Regards jeunes – Région Hauts de France
Décerné à :
THE LINE (Ciara) de Peter Bebjak (Slovaquie, 2017)


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