Bilan du 16e Festival du Film Asiatique de Deauville

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Le 16e Festival du Film asiatique de Deauville s’est achevé ce 9 mars. Bilan.

Au terme de ces quelques jours passés à Deauville, arrêtons-nous sur les films sortant du lot.

C’est d’abord un long métrage présenté Hors compétition qui a sérieusement capté notre attention : Ruin, production australo-cambodgienne des réalisateurs Amiel Courtin-Wilson et Michael Cody. Deux jeunes amants fuient Phnom Penh. Ils fuient leurs existences misérables et la corruption de la capitale. Avançant dans les profondeurs de la jungle, leurs vies antérieures viennent les hanter dans leurs cauchemars. Il y a dans ce film une image nerveuse et tremblante jouant sur le flou, et qui scrute les visages au plus près et sous tous les angles. Une grâce aussi dans la façon de filmer les corps, le buste d’un homme au travail, la chevelure noire de Sovanna, la belle héroïne. Ruin nous fait penser, en termes de mise en scène, au Chinois Lou Ye avec ses Nuits d’Ivresse printanière (2009) et même à Rachid Djaïdani avec Rengaine (2010). C’est la même sensation d’errance, d’éphémère et d’urgence.

Il nous faut aussi mentionner le film du Philippin Adolfo B. Alix Jr., Mater Dolorosa, sorte de chronique d’un parrain de la mafia au féminin en la personne d’une mère de famille, Lourdes Lagrimas (Gina Alajar), dirigeante une organisation criminelle menacée par une opération « mains propres » de la mairie. Gina Alajar est troublante dans ce rôle rassemblant les casquettes de mère de famille et de chef de clan. Le réalisateur utilise un curieux noir et blanc qui n’en est pas tout fait un puisqu’il laisse le rouge apparaître – la couleur du sang, sans doute. Il manque une unité et de l’intensité dramatique à ce film, qui malgré tout, à certains instants, est séduisant.

 

Mater Dolorosa de Adolfo B. Alix Jr.
 

Le cinéma indien était présent avec Ugly d’Anurag Kashyap. Polar vif et aussi bordélique que les rues de Bombay où il fut tourné, ce film est intéressant à plus d’un titre. Notamment par le portrait qu’il fait d’une classe moyenne jeune dans la jungle d’une mégapole telle que Bombay, et aussi par la dénonciation qu’il fait de la violence masculine et policière plus que jamais en vigueur dans la société indienne malgré une modernité croissante. Le scénario est un peu tortueux.

Le cinéma coréen était quant à lui très bien représenté dans la sélection officielle puisqu’il comptait deux films en compétition. D’abord, il y eut le décevant Steel Cold Winter de Choi Jin-seong. Film sur le malaise adolescent, la manipulation et la rumeur, autant de thèmes potentiellement captivants – surtout chez les adolescents -, mais qui ici demeurent un peu sous-exploités par un scénario un brin compliqué et une mauvaise cadence générale. Puis, il y eut Han Gong-Ju de Lee Su-jin qui, à l’inverse de Steel Cold, déploie une belle dramaturgie sur le thème de la culpabilité destructrice d’une jeune fille interprétée par une Chun Woo-hee crevant l’écran. Lee Su-jin file la métaphore tout au long du film entre la piscine, où Han doit apprendre à nager, et l’existence, où il faut apprendre à vivre malgré les gros bouillons. Pas sûr que les leçons de natation suffisent.

Mais l’émotion la plus forte que nous ressentîmes durant ces cinq jours fut, pour nous comme pour le jury – puisqu’il fut désigné samedi soir lauréat de cette 16e édition -, celle procurée par le film kazakh Nagima de Zhanna Issabayeva. Au vu de l’ensemble de la Compétition, le jury ne s’est pas trompé. Car cette histoire d’une jeune kazakhe confrontée à la misère la plus noire quelque part dans une banlieue de tôle et de poussière, au Kazakhstan, est un véritable choc. Orpheline, Nagima fut abandonnée à la naissance. Elle vit avec son amie Anya, enceinte, dans un état d’extrême pauvreté. Lorsque Anya meurt en couches, elle va rechercher coûte que coûte une famille à elle en adoptant le nouveau-né d’Anya. C’est un grand film naturaliste doté d’une photographie admirable, qui décrit donc le calvaire de cette fille d’une dignité étincelante alors que le destin lui refuse obstinément la moindre issue de secours. C’est un film sur un désespoir et une solitude infinis, sur le malheur qui s’abat toujours plus fort sur les plus démunis.

 


Nagima de Zhanna Issabayeva

 

Retrouvez l’intégralité du palmarès sur le site internet du festival.


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