Before Midnight apparaît très rapidement beaucoup plus désenchanté que les deux films précédents. Près de vingt ans après leur rencontre, la vie a coulé, il est temps de faire le point, de dresser le bilan. Le romantisme de l’histoire de Céline et Jesse est derrière eux, le film s’en fait le témoin : s’il est une nouvelle fois bavard (c’est, ici, plutôt un compliment), les conversations, toujours finement écrites, contiennent le quotidien et la lassitude, un certain réalisme de la vie à deux, qui a duré, qui s’étiole et qui pourrait s’arrêter. Céline le dit tôt, au cours d’un impressionnant plan-séquence de treize minutes dans une voiture qui longe des ruines grecques : « Ça y est, c’est le début de la rupture ». Il n’y a pourtant même pas eu un mot plus haut que l’autre, seulement la formulation par Jesse de l’hypothèse d’un retour aux États-Unis afin d’être plus près de son fils, qu’il voit peu. Il y a ici, chez Linklater et les deux acteurs, qui écrivent une nouvelle fois le scénario à trois, une vision de la relation amoureuse et des ravages du temps plus pessimiste qu’auparavant. L’éclat des débuts est loin derrière, le bonheur perpétuel consommé. Before Midnight se veut, clairement, plus proche de la réalité, le regard moins embué par le romantique.
C’est, étrangement, cette nouvelle impression de proximité, de vécu – chacun peut ici se reconnaître, douloureusement parfois -, qui fait l’aimer un peu moins immédiatement. Before Midnight est extrêmement écrit, existe rarement en dehors des dialogues fabriqués pour les deux comédiens. Ils sont toujours aussi bons, toujours aussi en phase, mais il y a là, à plusieurs reprises, le sentiment d’assister à quelque chose de trop préparé, de moins vivant que par le passé ; une sorte de liste à cocher des difficultés éprouvées par deux personnes se fréquentant sur le long terme. Linklater fait évoluer son couple au sein d’un autre groupe de personnes qu’il ne dessine qu’à moitié, pauvres faire-valoir de ses deux personnages-stars qui ne font qu’appuyer leurs propos. Il faut attendre la toute fin du film pour les retrouver seuls dans leur chambre d’hôtel, cette fois-ci parfaitement justes, parfaitement à-propos, pour les estimer sur un pied d’égalité et ne plus prendre parti, pour se dire que cette histoire, c’est la leur, qu’ils peuvent bien l’éprouver comme ils le veulent.
In extremis, Linklater revient finalement à ce qui rendait Before Sunrise et Before Sunset si aimables, et qu’on ne perçoit véritablement qu’à la vision de ce Before Midnight : la comédie romantique, un boy meets girl d’une immense limpidité et sans aucune mièvrerie, initié quand Céline et Jesse n’avaient que vingt ans et que l’heure était à la découverte et à l’émerveillement. Car c’est là qu’ils excellent vraiment tous, quand Céline et Jesse s’autorisent à nouveau à jouer le jeu ; quand Linklater décide de leur donner une chance ; quand Hawke et Delpy semblent pouvoir prolonger les rôles à l’infini. C’est en fait ça qu’on aime tant, dans cette trilogie qui pourrait encore potentiellement se poursuivre sur vingt, trente ou quarante ans – qu’elle soit presque exempte de cynisme. Que l’idée de les suivre sur un tel laps de temps est la plus belle qui soit, et qu’on peut bien s’engueuler, il vaudra toujours mieux regarder le coucher de soleil.