Beautiful Valley

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Vision mi-passéiste, mi-lucide de l’effondrement d’une utopie.

Beautiful Valley est un étrange film à tiroirs dont la construction ne joue pas du tout sur la rupture ou le renversement des attentes, mais sur une complexification progressive du propos. On suit le quotidien d’Hanna, nonagénaire que la retraite ne semble guère enchanter. On la voit spontanément, sans autorisation et sans assurance, se remettre à travailler, imposant ses services à diverses personnes. La réponse, toujours la même : « Tu ne peux pas travailler »,  lui fait de plus en plus souvent comprendre qu’elle est plus une gêne qu’une aide. Ce rejet et l’ennui patent de la vieille dame auraient tout d’un drame si la répétition des scènes et leur jusqu’au-boutisme n’apportait pas une touche de fantaisie. On voit ainsi Hanna perchée à trois mètres du sol sur la passerelle d’un monte-charge, élaguant un arbre.

À partir de ce rejet de la vie active, c’est un second film qui se développe, avec des implications plus directement historiques que personnelles. Hanna vit dans un kibboutz israélien. Nés au début du XXe siècle, les kibboutzim sont des communautés collectivistes censées subvenir aux besoins de tous ses membres et dont les décisions sont prises en commun. Le kibboutz d’Hanna est en cours de privatisation, comme beaucoup il n’a pas su intégrer ni assimiler les règles de la mondialisation : le modèle utopique de la communauté de coopération s’effondre. La question posée par les errements hiératiques d’Hanna, et de ses congénères, est celle de l’adaptation aux règles d’un monde qu’on ne connaît pas. De l’ennui d’une retraitée, on passe au portrait d’une inadaptée sociale.

Kibboutz, mon amour ?

Mais c’est aussi au portrait des kibboutzim que se livre Hadar Friedlich dont c’est ici le premier long métrage de fiction. Durant une large part du film, la réalisatrice ne ménage que peu les susceptibilités et offre à voir autant la beauté de l’entreprise utopique que les travers autoritaires de son fonctionnement. La propriété commune des biens, l’égalité de tous, la coopération dans la production, la consommation et l’éducation sont citées à renfort de témoignages des habitants de kibboutzim qui jouent dans le film – ces documents d’archives ont été tournés par la réalisatrice lors de la préparation du film et proposent donc un témoignage direct sur la vie au kibboutz. Mais c’est aussi un monde clos sur lui-même qui se fait jour où les ambitions et les choix individuels sont soumis à la volonté du collectif. Peut-être de manière involontaire, Hadar Friedlich met en parallèle à deux moments du film deux femmes : l’une âgée, l’autre plus jeune. Pour les deux, le kibboutz a orienté leur vie, imposé ses choix. Dans une séquence de témoignage – donc une séquence purement documentaire –, la voisine d’Hanna évoque l’abandon de sa carrière de concertiste dans sa jeunesse : « C’était une décision collective. » Plus violent dans la fiction est le personnage bien plus jeune de la caissière du réfectoire qui s’apprête à fermer : « J’ai accepté d’arrêter mes études. J’ai été trop conne […] Où je vais pouvoir travailler maintenant ? » La gérance collectiviste autoritaire, et probablement phallocentriste – les hommes sont peu présents dans le film, les maris sont morts, seul reste l’ami archiviste garant de la mémoire des lieux qui se garde donc bien de les critiquer –, alors même que les kibboutzim revendiquèrent dès leur origine l’égalité sexuelle au prix de relations tendues avec les autorités religieuses, semble épinglée.

 

Il est pourtant difficile de lire la position réelle de Hadar Friedlich. Est-elle coincée entre le jugement nécessaire d’un certain fonctionnement des kibboutzim qui fait taire les aspirations personnelles et la volonté de mise en avant d’un modèle utopique qui porta aussi des bienfaits mais vit aujourd’hui ses derniers feux ? On ne  le sait pas réellement tant le film bascule dans un sentimentalisme de bon aloi dans sa seconde partie. On est à l’heure de la réconciliation quel qu’en soit le prix. Le film devient ainsi douloureusement passéiste. Dommage, car son portrait de l’effondrement d’une utopie à travers le conflit générationnel a de la valeur.

Titre original : Emek tiferet

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Durée : 90 mn


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