Au revoir là-haut

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Porté par le beau récit du roman de Pierre Lemaître, « Au revoir là-haut » reste néanmoins trop mâtiné d’artifice.

« Il se pencha vers le sol, on aurait dit qu’il s’était mis à pleurer, il reniflait, penché sur sa sacoche qu’il bourrait avec les enveloppes, comme si elle était percée et qu’il eût fallu en tapisser le fond pour limiter les dégâts. » Au revoir là-haut, Pierre Lemaître, 2013

L’écrivain Claude Simon, interrogé dans les années soixante sur la littérature et le cinéma, confiait à son interlocuteur ce que le septième art apportait à ses yeux comme possibilités de représentation et de perception nouvelles, citant par exemple le gros plan, qui lui plaisait particulièrement (1). Aussi, l’adaptation cinématographique, qui concerne le dernier film d’Albert Dupontel, est toujours un objet intéressant à analyser compte tenu de son inspiration originelle qui repose sur un autre art. Quel « gros plan », quelle focale a donc choisi le réalisateur pour mettre en scène au cinéma le beau roman de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut ?
 


Richesse d’une matière littéraire

Fermement arrimé à un scénario solide et poétique, Albert Dupontel fait vivre les personnages multiples et riches qui construisent le roman de Lemaître grâce à une sélection d’acteurs talentueux : un ancien soldat candide Albert Maillard (Albert Dupontel lui-même), sauvé des tranchés par un jeune artiste idéaliste Édouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), sa sœur Madeleine (Emilie Dequenne), son père Marcel (Niels Arestrup) un profiteur de guerre, Henri Pradelle (Laurent Lafitte), et un inspecteur zélé que rien ni personne ne peut acheter, Joseph Merlin (Michel Vuillermoz). Devant l’ouvrage étendu et foisonnant de Lemaître, le cinéaste opère une sélection et condensation des enjeux et moments du récit avisée, prenant soin de conserver ici et là des phrases et dialogues du texte, et – chose cruciale – ses tonalités, qui alternent entre le tragique et le comique, en passant par la farce. Du théâtre, de l’exagération viennent caractériser le film et ses personnages avec une beauté certaine. Un soin visuel et sonore accordé, par exemple, dans un registre burlesque, au détestable Henri Pradelle qui, de sa haute stature, saute de tombe en tombe pour éviter de se souiller dans la boue du cimetière aux morts de la guerre dont il est censé assurer la construction digne. On peut retrouver dans ce type de choix de mise en scène, le même geste qui plaisait à Claude Simon devant la possibilité cinématographique du gros plan.

L’artifice, loin des galoches de Merlin

Albert Dupontel semble réceptif à la sensibilité du roman, à sa force de farce, qu’il retranscrit justement. Néanmoins le film semble tout du long corseté dans un costume d’artifice, un Paris de studio, des scènes de tranchées sans aspérité, des intérieurs éclairés de lueurs jaunes dont rien ne vient faire vriller l’éclat, à travers une mise en scène résolument classique. Il manque au long-métrage de micro-gestes de cinéma qui viendraient tailler dans le lisse de l’image et de ses séquences, à l’instar des « grosses galoches » de l’inspecteur Merlin, qui s’enfonce sans hésitation dans la boue pour trouver les preuves de la médiocrité humaine. Adaptation « fidèle » du roman de Pierre Lemaître, il manque à l’oeuvre sa propre incarnation de cinéma, une poétique qui lui serait propre, un déplacement créateur interrogeant ses moyens particuliers et à même de donner davantage de densité à la matière si riche que le réalisateur avait entre les mains.

(1) www.ina.fr/video/l00018213

 

Titre original : Au revoir là-haut

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Durée : 117 mn


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