Assaut (Assault on Precinct 13 – 1976)

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L’Enfer en plein Los Angeles. Le premier film d’un cineaste qui pose les jalons d’une filmographie sans concession.

Il suffit de cinq notes. Une gamme de cinq notes qui résonnent, passent en boucle sans jamais vouloir s’arrêter et qui malgré – ou grâce à – leur apparente simplicité s’imprime dans la mémoires du spectateur pour ne plus jamais la quitter. Un rythme entêtant, hypnotique à l’image de l’atmosphère mélancolique voire apocalyptique du second film de John Carpenter, Assaut.

1976. John Carpenter a 28 ans et, après s’être fait remarquer avec son film de fin d’études Dark Star, décide de passer à la vitesse supérieure et d’investir l’économie hollywoodienne avec son propre long-métrage. Alors que le cinéma américain se crée un nouveau visage et une nouvelle mythologie par la refonte rapide et violente de ses thèmes et idéaux – l’antihéros et la fin de l’American Dream – Carpenter puise dans les classiques de l’âge d’or des studios en proposant une relecture contemporaine et urbaine du western.

Une nuit, à Los Angeles, les membres d’un gang assiègent un poste de police dans lequel s’est réfugié un homme qui a tué l’un des leurs. Pour survivre aux assauts répétés, les policiers et les prisonniers unissent leurs forces.

Carpenter semble accorder peu d’importance à l’air du temps qui préfère un cinéma hors-norme fait de libération sociale et sexuelle et se détourne clairement de l’explosion de la contre-culture en livrant avec Assaut un film d’action jugé à l’époque vieille école et dont la conception dramatique doit beaucoup au western.
Loin des références du Nouvel Hollywood, Carpenter clame sa passion pour le cinéma de Howard Hawks en réalisant un remake déguisé de Rio Bravo. Il va même jusqu’à opérer la synthèse entre le chef-d’œuvre de Hawks et l’événement cinématographique de la fin des 60’s : la Nuit des Morts-Vivants.
De l’un, il reprend l’art du montage et son « refus de l’emphase et du mythe » ; de l’autre le héros de couleur noire et la dialectique champ / hors-champ qu’il déplace dans un cadre moins fantastique et plus quotidien. Des deux, il réutilise le huis clos comme formatage du cadre, symbole d’une terreur omniprésente et indéfinissable.

"L’Enfer c’est les Autres"

Carpenter reprend le principe de Romero de l’abolition de la dialectique entre champ et hors-champ et confine les assaillants dans la profondeur de champ leur donnant ainsi la possibilité d’investir l’espace filmique dans un rapport d’altérité problématique car, comme pour les zombies, l’Autre le Même partagent le même corps. Cette indifférenciation plastique sera d’ailleurs au centre des préoccupations du cinéma de la fin des années 70 et 80 (Boorman, De Palma, Craven).
Mais Carpenter se démarque de ses prédécesseurs en rejetant les assaillants dans la multitude et l’anonymat. Alors que les zombies de Romero ou encore les rednecks de Romero et Craven se déplacent en nombre limité et identifiable, les street thunders d’Assaut eux, sont noyés dans l’abstraction la plus totale, dans une indifférenciation allant jusqu’à leur dénigrer leur statut d’êtres humains. Il est impossible à qui que ce soit, tout au long du film, de se rendre compte du nombre d’assaillants, ou du sens réel de leur motivation d’autant plus qu’ils restent muets pendant tout le film. Ils ne parlent pas mais ne saignent pas non plus, ni même ne semblent souffrir lorsqu’on leur tire dessus. Loin de chercher à dresser un tableau psychologique, Carpenter rejette la brutalité dans la foule anonyme et multi-ethnique et définit par là même un sentiment de terreur moderne et déshumanisé à l’image des scènes de violence dans les sociétés post-modernes, USA bien évidemment compris. L’anonymat de cette violence la rend d’autant plus atroce, d’autant plus insoutenable que le nombre des assaillants se multiplie au fur et à mesure du film, comme si l’escalade de violence était un phénomène irrésistible, insoluble, une machine qui pourrait tout abattre sur son passage.

Carpenter peut d’autant plus se lancer dans cette violence affolante parce qu’illogique et déraisonnée – bien qu’assez peu sanglante – qu’il a donné au spectateur quelques scènes plus tôt le choc qui fait mieux appréhender la spirale de violence face au commissariat. Devant le camion d’un marchand de glace, l’un des délinquants assassine une petite fille dans une explosion presque séminale de crème glacée vanille-fraise et de sang. Un coup de feu, au silencieux bien sûr, sans aucun mot ni même une musique. Carpenter, en touchant à ce tabou, donne le ton : tout peut arriver, surtout le pire. Ridely Scott reprendra cet adage quelques années après, en plaçant la scène la plus terrifiante et dégoûtante de son Alien le plus tôt dans le film afin de créer un horizon d’attente chez le spectateur.
Le message peut paraître ironique parce que précisément Assaut n’est pas ce que l’on appelle un film violent, il y a assez peu de sang, le rythme est plutôt lent et silencieux. Ce qui perturbe lorsque l’on voit Assaut, c’est son côté implacable, feutré et gratuit. Autour du commissariat-prison-bunker, les truands avancent par vagues successives, lentement, dans l’obscurité la plus totale. Qui sont-ils ? On ne le saura jamais vraiment et à part un argument-prétexte de représailles, on ne sait pas non plus pourquoi ils sont là.
Les valeurs classiques de la fusillade – que ce soit dans le western ou le film d’action – sont ici retournées. La fusillade est silencieuse et les armes provoquent des impacts dont on ne peut voir les conséquences ; les assaillants marchent eu lieu de courir. A la lenteur des street thunders répond l’agitation des assiégés, au silence du gang s’oppose le bruit infernal des armes de la police et leur verbiage incessant afin de trouver une solution.

"J’ai fait ce film alors que j’étais toujours du côté de la cavalerie, et pas encore de celui des indiens"

Evidemment, un film comme Assaut ne trouve pas sa place dans le cinéma américain des 70’s né avec Easy Rider et Macadam Cowboy. Le film sort d’ailleurs sur les écrans US dans l’indifférence générale. Et à l’image du sort réservé à Clint Eastwood, autre « facho » de l’époque à abattre, Carpenter est accusé d’avoir livré un film d’extrême-droite, réac, partisan d’une justice punitive et d’un racialisme affiché. Certes, Carpenter n’est pas ce que l’on appelle un gauchiste ou un cinéaste engagé (Sokourov non plus mais ses films sont-ils moins bons pour autant ?), il serait d’ailleurs plutôt à classer du côté des anar’ de droite, des subversifs un peu cyniques quant à l’état du monde et de la société. Plutôt que d’un discours politicard, Carpenter alors âgé de 28 ans cherche surtout à rendre hommage à un cinéma classique et populaire et à redonner naissance aux figures mythiques qui l’accompagnent. Un cinéma droit et moral où l’on retrouve le gentil sheriff, les méchants despérados – mais cette fois sans la fille au milieu. Ce sera le temps d’un film seulement car Carpenter dès les années 80 va rendre hommage à la marginalité du loser et de l’anti-héros avec Snake Plissken. Toujours à contre-courant…

Titre original : Assault on Precinct 13

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Durée : 91 mn


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