Aqui Kaurismäki !

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Dans le dernier film d´Aki Kaurismäki, la ville – Le Havre – est magnifique et chaque plan est esthétiquement irréprochable. Pourtant, on quitte la salle avec une impression d´étrangeté. C´est que Kaurismäki ne craint pas les mélanges atypiques…

Le dernier film d’Aki Kaurismäki se passe en France, au Havre. Sous l’œil du Finlandais, la ville est sublimée, chaque plan est esthétiquement irréprochable. Pour habiter cette ville magnifique, le réalisateur a créé des personnages aussi décalés qu’attachants, agissant au rythme d’un scénario simple mais convaincant. Malgré ces réussites, on ressort de la salle avec une impression d’étrangeté. C’est que Kaurismäki n’a pas peur des mélanges atypiques. Pour Le Havre, il s’est inspiré d’un film mexicain de 1957, El Bolero de Raquel.

Marcel Marx vs Cantinflas

Contrairement au Havre, El Bolero de Raquel est une comédie, réalisée par Miguel M. Delgado. Toutefois, les deux films racontent l’histoire d’un cireur de chaussures qui doit soudainement prendre en charge un enfant qui n’est pas le sien, en faisant tout ce qu’il peut pour l’aider et le protéger. Dans le film mexicain, après la mort tragique du père de l’enfant, la veuve part chez ses parents, confiant l’enfant à son parrain ; alors que chez Kaurismäki, le cireur rencontre l’enfant par hasard, il est une excuse pour évoquer le problème des sans-papiers puisque c’est un clandestin africain. Le cireur cache l’enfant recherché par les autorités et lutte pour l’envoyer auprès de sa mère, qui est à Londres.

Le cireur mexicain est joué par Mario Moreno, dit Cantinflas, un acteur connu de tous les Mexicains. Pendant des années, il a joué ce rôle de pauvre, débrouillard, qui parle avec grande éloquence pour ne rien dire, il a même donné son nom à un verbe décrivant cette façon de s’exprimer : Cantinflear. Face à ce mythe, Kaurismäki devait créer un personnage unique : Marcel Marx. A l’inverse de son homologue mexicain, il est cultivé et adroit, et bien que Marcel fasse toujours preuve de finesse, son attitude est toujours réfléchie. Le nom du personnage, nous le verrons, fait référence à certains grands noms.

 

La poétisation de la pauvreté

Malgré les cinquante années et les 10 000 km qui séparent ces deux films, ils ont un important fond commun. Prenons par exemple un des piliers des deux films : la relation homme-enfant. Cette union peu probable est le fil conducteur du film, on la voit évoluer et on s’émerveille de son bon fonctionnement. De ce lien va naître un dévouement mutuel : les adultes, que plus rien ne freine, vont chercher le bien-être des enfants. De leur côté, les enfants seront toujours prêts et ravis de pouvoir rendre service à leurs protecteurs.

C’est en suivant cette relation que l’on découvre le thème principal de ces deux films : l’idéalisation des pauvres. Au Mexique, c’était un genre à part entière, le mélodrame urbain, on le retrouve sous la forme des fameuses telenovas. Ces feuilletons réputés pour leurs rebondissements tiennent aujourd’hui ce rôle de glorification de la pauvreté. Pour les deux réalisateurs, pauvreté rime avec générosité, franchise et partage. Ils nous montrent le manque d’argent sans que les personnages ne semblent affectés par cette réalité. Au contraire, c’est cette précarité qui permet l’union du voisinage, dépeint comme la première famille. Chez Delgado, lorsque le père de l’enfant meurt, Cantinflas entreprend une collecte dans le quartier pour payer les funérailles. De la même façon, les amis de Marcel Marx l’aident à récolter l’argent nécessaire pour envoyer l’enfant à Londres. Comment ne pas penser alors à l’utopie de l’autre Marx : une communauté unie, des marchands qui font crédit et une entraide naturelle.
 


Un film d’époque… mais quelle époque ?
L’esthétique de Kaurismäki nous rappelle également El Bolero de Raquel, non tant le film lui-même mais l’époque à laquelle il appartient : les fifities. Le Havre n’est pas le Havre du XXIe siècle, c’est une utopie, un rêve de passé se projetant vers l’avenir. Les costumes sont intemporels, Marcel Marx parle avec l’éloquence d’antan, les décors et les voitures n’expriment pas la modernité et les magasins et commerçants nous rappellent même un certain autre Marcel… Pagnol.

On retrouve plus précisément le film de Delgado avec l’autocar dans lequel Marcel se rend à Calais, un bus d’époque, quasi identique à celui qui amène Cantinflas et l’enfant à Acapulco. Dans Le Havre, on retrouve également la lenteur de ces films d’époque, nous accompagnons parfois Marcel dans le silence des longs plans fixes aujourd’hui peu communs. Les visages, les mains, les yeux, nous sont montrés avec minutie. Kaurismäki parle d’aujourd’hui, nous montre hier pour nous raconter demain.

L’utopie Kaurismäki

Le réalisateur finlandais a créé avec grand soin le microcosme qu’il nous offre dans Le Havre, il nous confirme ainsi que bien plus que l’histoire d’un clandestin, c’est l’histoire d’une société en voie d’extinction qui le fascine. Il refait l’histoire et redessine la mondialisation, dans son Havre, elle n’a pas détruit l’union communautaire, elle a simplement renouvelé la palette de couleurs : un Africain, des Français (interprétés par des étrangers) et un Chinois qui ne l’est pas vraiment. Conclusion ? La diversité n’est pas un obstacle à la communauté. Et par sa force, cette union peut vaincre ou amadouer n’importe quelle autorité. Bien plus que Delgado, Kaurismäki nous offre un film intemporel, l’histoire d’une utopie, l’union des plus démunis, d’où qu’ils viennent. Toutefois, le réalisateur fait un réel hommage au film mexicain, le bar des habitués est décoré de cactus et Marcel Marx passe devant un paquebot nommé…Rakel. Tous ces détails participent à créer une ambiance unique, un étrange mélange d’époques, de genres et de pays. Un film protéiforme faisant l’apologie de la diversité… rien de plus normal finalement.

 


Un film d’époque… mais quelle époque ?

 

 


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