Amanda

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Pulsion de grandir

Partir d’un lieu, s’en servir comme d’un éclos, y faire grandir son sujet dont les vibrations répondent à celles de son décor. C’est somme toute le projet d’Amanda. Prendre au vol Paris et les figures du récit sous le même joug d’une sciure temporelle décisive : l’avant et l’après attentat. Tout est dans cette saisie subtile des vibrations de la ville et des personnages, leur manière de gérer l’effet de bascule.
L’avant, c’est un jeune adulte (David), oscillant entre le métier d’élagueur à la mairie de Paris et de chargé d’accueil pour une agence locative privée. Lorsqu’il trouve un moment entre deux rendez-vous, il dépanne sa soeur (Sandrine), mère trentenaire célibataire et professeure d’anglais au lycée, et garde sa nièce (Amanda, 7 ans), qu’il laisse poireauter sur le trottoir de l’école. Frère et soeur occupent leur place dans la lignée de leur naissance. Plus jeune, David ne vise pas comme sa soeur la remise en ordre d’anciens conflits avec leur mère, qu’ils n’ont pas revu depuis l’enfance et qui cherche à les contacter. La force de son âge dévie ses objectifs qui naissent à peine dans sa vie de jeune adulte, encore dédiée aux insouciances de la vingtaine, comme sa rencontre récente avec Léna, jeune musicienne dont il s’amourache doucement.

 

Alors, lorsque précipitamment sa soeur meurt suite à un attentat dans le parc où il partait la rejoindre, tout s’accélère. Son retard lui sauve la vie, mais lui réserve sur les lieux une douloureuse vision de massacre. Il se brouille étrangement aussi avec un effet de bascule fulgurant. Une propulsion temporelle absurde, comme cette scène où, complètement ahuri, il se voit demandé par une assistante sociale s’il veut bien devenir, à vingt-quatre ans, le tuteur d’Amanda. L’absurde est double lorsque celle-ci lui indique que « quinze années d’écart suffisent » pour être le tuteur de quelqu’un. On réalise soudain que si Amanda est encore une petite fille, David, lui, n’est encore qu’un grand enfant, à qui on demande subitement de grandir.

Dans cette endurance du corps et de l’esprit, Paris n’est jamais loin. Elle aussi vit ses heures sombres, éprouvées au contact des quelques scènes glaciales de bars ou de ruelles évidés, ou de grilles cadenassées.

Elle glisse aussi derrière les virées en vélo de David et de sa grande soeur, dans le frémissement des branches, le défilement des squares et des statues illustres. Elle se révèle dans la séquence de danse folle où mère et fille se déhanchent dans leur salon du 11 ème arrondissement, ou depuis la fenêtre par la vue en plongée du Cadran Voltaire.

La ville et le corps résistent dans un même mouvement d’avancée. Un travelling piège justement les deux trajectoires dirigées dans le même sens; les bateaux mouches fusant sur la Seine, et David portant à bout de bras Amanda. Mais son cheminement à lui change brutalement de vitesse. Bousculé par une paternité plausible, il ré-agence subitement tout dans sa vie, change de cap sur ses nouveaux objectifs. À Londres, il affronte l’écueil maternel. En province, et dans une volée expéditive, il vient chercher Léna, pour terminer la configuration d’une famille composée sur le vif. Mais alors qu’il l’a presse de le rejoindre à Paris, elle le freine. Leur histoire, elle, a droit au temps de leur jeunesse.

 

 

Cette jeunesse, c’est justement elle qui nimbe le film de cette volupté tranquille, cette innocence des prémices qui refuse de trop s’avancer, et qui nous délaisse de l’embarras de certaines scènes (l’annonce du décès de sa soeur à leur amie commune, filmée en plan d’ensemble, racontée par le geste de sa main et de leur étreinte).

Une onde juvénile nappe le film d’une chaleur enveloppante homogène et fluide. Mais si la bascule advient comme une douche froide saisissante (David arrivant dans le parc face aux victimes ensanglantées), ses virées expéditives pour remettre de l’ordre dans sa vie sont nimbées d’une même humeur placide. Il s’est bien pourtant passé quelque chose, entre cet « avant » et cet « après ». La violence, qui l’a tiré fortement hors de sa jeunesse, s’estompe dans la nimbe tranquille de leur relation, au lieu de l’investir de sa présence incisive vibrante :  l’adulte forcé de grandir.

 

Titre original : Amanda

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Durée : 97 mn


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