Alamar

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« Il était mince. Il était beau. Il sentait bon le sable chaud »… Initiation à la vie sauvage à travers les yeux d´un enfant, fou d´admiration pour un père en voie de disparition. « Bonheur perdu, bonheur enfui »…

Jorge et Roberta se sont aimés. Puis, l’Italienne éprise de son Tarzan mexicain s’est réveillée : impossible de vivre cette vie-là, sans métro, sans confort, sans shopping, sans stress, sans horloge. De leur union est né Natan. Jorge repart au Mexique. En guise d’au revoir entre le père et son fils, un retour à la mer nourricière : Banco Chinchorro, la maison de grand-père sur pilotis. En guise de chien, un crocodile.

Voici pour la fiction. Maintenant, dans la vraie vie, Jorge est guide touristique. Natan est bien son fils, ainsi que celui de Roberta, l’Italienne. Quant à papi : il était là au bon moment, assis devant chez lui, alors que Pedro González-Rubio cherchait une maison pour tourner. Par la magie du cinéma, monsieur Nestor « Matraca » Marín s’est vu attribuer une toute nouvelle descendance. Alamar cultive sa schizophrénie : l’entrelacement du réel et du fictif fait tout le charme de ce documentaire transcendé par l’imaginaire. Imaginaire du petit Natan. Imaginaire d’un cinéaste ouvert à tous les vents, et toutes les rencontres.

Nul acteur dans cette histoire. Jorge ne joue pas : González-Rubio a très bien saisi le potentiel de son physique, de souche Maya. Tout à la fois, brutal et agile, mi-sauvage, mi-nymphe, ses cheveux longs, sa grâce virile en font un père spectaculaire et ambigu. Natan ne rate pas une miette de tous ses gestes, fascinants. On le regarde avec les mêmes yeux émerveillés. Il incarne la part de rêve de ce récit, le souvenir émerveillé que l’enfant rapportera en Italie. Non sans peine… Mal de mer sur le bateau, peur de se jeter à l’eau, farouches langoustes de science-fiction, fourmis sur les pieds : papa est là qui nous tient la main. Par le biais d’un cadrage extrêmement sensuel, on ressent tout à l’échelle de cet embryon d’homme. Notre transformation s’opère lentement dans le confinement douillet de cette bulle temporelle. L’immensité des paysages est compensée par le huis clos resserré de la cabane, les bras de Jorge, l’espace restreint de la barque. La Nature est grande et nous sommes à l’étroit.
 
 


 
 
González-Rubio a le goût du détail, en témoigne le soin apporté au grain de l’image, aux prises de vue. La poésie ne relève pas du miracle, il suffit de déceler dans le quotidien ce qui peut susciter l’éblouissement, l’attiser, le révéler, puis le capturer. C’est une affaire de dosage entre maîtrise et hasard. La dilatation du temps – extatique – est à peine perceptible, distillée dans l’alternance parfaitement calculée de plans courts, de prises photographiques, de séquences plus contemplatives, et de scènes sub-aquatiques ralenties par le matelas de l’eau. Vie répétitive au milieu de nulle part oblige, on s’ennuiera bien à un moment, mais on a très vite oublié. On tombe des nues lorsque Jorge nous annonce l’heure de partir…

Les meilleures choses sont éphémères. De toutes façons, Blanquita a disparu. Oui ! Blanquita, la fabuleuse aigrette. Apparition surréaliste, soudoyée à coup de blattes, cet oiseau partagera un temps le quotidien de nos compagnons, jusqu’à partir à la pêche avec eux. Très amie avec Jorge, plus méfiante vis-à-vis du gosse, sa tête inquisitrice enfoncée dans ses deux minuscules épaules, l’animal enchante le film de sa présence incroyablement humaine et charismatique. Comme Natan – déçus ? – on s’étonnera néanmoins : « C’est vrai, Blanquita ne parle pas ! »

Qualifié de film écolo, dû au choix de l’endroit – la deuxième barrière de corail la plus étendue au monde – on ne peut toutefois pas s’en tenir à la portée militante, même si on constate avec plaisir être à mille lieux des discours niais et sentencieux de héros de bazar à la Nicolas Hulot. Vivre en harmonie avec la nature est une science millénaire que nous, Occidentaux, avons étouffé avec mépris depuis fort longtemps. Derrière la figure mythique et solaire de Jorge, en fond sonore, on entend vaguement les soucis des marins, on comprend leur isolement, leur solitude parfois… L’absence des femmes qui les travaille. Ecailler la poiscaille n’a rien de glamour, on donne les restes peu ragoûtants à un crocodile qu’il vaut mieux tenir en respect, on guette les silhouettes aiguisées des frégates qui repèrent les bonnes affaires, sans oublier de les en remercier. On est loin de tout et surtout, nous, on n’aurait pas le courage de mener cette vie-là, même avec Jorge… ou Blanquita.

Titre original : Alamar

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Durée : 70 mn


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