Aide-toi le cIel t’aidera

Article écrit par

Sans radicalisation ni pathos, François Dupeyron filme le quotidien d’une famille africaine en banlieue parisienne. Le réalisateur de « La Chambre des officiers » parvient à dépasser l’étiquette péjorative de << film de banlieue >> sans pour autant en créer une autre.

Le pari était risqué, et surprenant en est le résultat. François Dupeyron, réalisateur de La chambre des Officiers, quitte la guerre 14-18 pour s’attaquer à la banlieue. Aux portes de Paris, une famille africaine se mêle aux vicissitudes de la vie : le fils aîné deale, la benjamine est enceinte et le cadet se fascine pour le vide, la mort. Mais François Dupeyron ne s’attache pas aux déboires, il intègre ses personnages au décor sans les juger.

Le ton premier, la pensée immédiate, celle encouragée injustement par les nombreux films caricaturaux, lourds de démonstrations prétentieuses, chargés de pathos social qui ne font que critiquer et non proposer un regard avantageux ou plein d’espoir, arrive d’emblée à l’esprit. Il ne s’agit pas en réalité de ton mais de tonalité. La nuance du vocable est minime mais grand est l’impact visuel. Les tons aigus, graves, ces connotations péjoratives sont supprimées au profit de tonalités chaudes, d’une gamme de couleurs flavescentes ou de métaphores visuelles. Aide toi le ciel t’aidera, se compose telle une palette de sensation, de lumière jaune, de voix puissantes et chaleureuses, de regards joueurs et langoureux.

Filmé par Yves Angelo, avec un filtre jaune, le portrait de cette famille prend des allures exotiques. Le filtre renvoie à la chaleur du sol africain (rehaussée par la canicule) ; la laverie sous les arcades où les enfants s’amusent avec le jet d’eau lorgne vers un quartier de la Nouvelle-Orléans, tandis que l’arrivée aux urgences dans une vitesse effrénée renvoie aux films américains. Dans des cadres variés, débullés ou en contre-plongée, les personnages sont magnifiés et les images se rapprochent de projections mentales, de bribes d’images d’Epinal. Sans perdre la singularité du cinéaste, grâce à cette chromatique innovante, la forme de François Dupeyron évoque une banlieue aux atours insoupçonnés d’un rêve, peut-être de son utopie. Ainsi, le film pose une question passionnante et insoluble sur la représentation, la réalité d’un lieu et la perception de chacun. La banlieue est-elle synonyme de chaleur et de joie de vivre, ou des couleurs froides et glauques des cages d’escaliers, ou encore des plans frontaux idéalisant un appel à la révolte ? Où est la réalité de la banlieue que chacun tend à caricaturer, à en faire le fardeau de notre société ?

La richesse du film ne se circonscrit pas seulement à la forme attrayante. Le mélange du regard vériste et l’ajout d’une part fictionnelle entraînent tendresse, burlesque et cynisme. Venant du documentaire (son court-métrage La Nuit du Hibou en 1985 remporta le césar du meilleur documentaire), François Dupeyron avait d’abord songé à filmer la banlieue sous la forme d’un micro-trottoir comme dans Chronique d’un été de Jean Rouch. Projet refusé, il entreprit alors de mêler l’aspect du cinéma-vérité avec un accent de comédie italienne. Celle-ci se retrouve dans le couple formé par Robert (Claude Rich), voisin octogénaire, et Sonia (Félité Wouassi). L’un encourageant l’autre, ils vont ensemble enterrer le mari de Sonia, dont elle tait le décès afin de profiter des aides sociales. Dans l’autre registre, filmés en caméra épaule, les acteurs affrontent littéralement l’écran, d’où cette impression de non-interprétation. C’est aussi cela qui enthousiasme : le plaisir d’un film aux services de l’acteur, de son jeu, de sa présence, non soumis à une horde d’effets. Pour une fois, la banlieue n’est pas cerclée d’idées généralisées, elle apparaît en second plan, l’histoire effectuant un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, de l’organique vers le fonctionnel.

A l’image de son cadrage débullé, Aide-toi Le ciel t’aidera joue sur le décentrage et l’audace : l’anti-conformisme, l’espace inversé, le propos cynique. Bercé par une forme polymorphe et séduisante, ce film contribue à congédier l’étiquette de « film de banlieue ». Film rare et fragile, à préserver.

Titre original : Aide toi Le ciel t'aidera

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 92 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…