A pas aveugles

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Prendre des photos dans les camps nazis pour prouver et durer.

Le courage et la trace

Après Parce que j’étais peintre (2013), consacré au dessin et à la peinture pratiqués clandestinement dans les camps nazis, À pas aveugles prend pour corpus les photographies réalisées clandestinement dans ces mêmes camps et dans les mêmes conditions de clandestinité, donc d’extrême danger. D’un médium à l’autre, le réalisateur se penche sur le courage des déportés et sur le besoin fondamental de témoigner, mais aussi de laisser une trace artistique ou historique pour le futur. Outre le courage, ce film prouve encore une fois que l’âme humaine est immortelle et que les hommes seront toujours à même de conduites de solidarité et d’abnégation : la déportation mise en place par les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale en est un vibrant exemple et les témoignages recueillis par Christophe Cognet, le réalisateur de ce documentaire passionnant, constituent un très bel hommage. 

Clichés à l’aveugle

Après son précédent film, alors qu’il connaissait l’existence de ces clichés et qu’il avait hésité à les y placer, Christophe Cognet raconte qu’il a eu l’occasion de découvrir le livre de Leïb Rochman, À pas aveugles de par le monde. Là, quelque chose s’est déclenché en constatant que nombre de ses photographies avaient été prises à l’aveugle, sans être visées en raison justement du danger que représentait l’acte de photographier et la présence de l’appareil que certains prisonniers cachaient sous un manteau ou dans des journaux. À l’aveugle donc car ils ne pouvaient pas regarder par l’objectif pour cadrer et viser. Cela donne d’ailleurs des photographies étranges, souvent décadrées, mais qui sont des aides précieuses pour le devoir de mémoire. « Pour faire un dessin, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film, il faut avoir regardé l’être ou la chose représentés, mais il n’est pas nécessaire d’être en leur présence pour réaliser le dessin : cela peut être fait de mémoire, le soir, dans le block par exemple, comme ce fut le cas pour de nombreuses œuvres faites dans les camps. Alors que pour prendre une photo, il faut être présent physiquement. Il n’est pas nécessaire de regarder ce que l’on photographie, mais il faut être en face, en sa présence, partager ensemble un temps et un espace. Une photographie est toujours la trace d’une rencontre. »

Contrecarrer le négationnisme

Le documentaire est donc à la fois un témoignage captivant et émouvant, mais il constitue en outre une réflexion philosophique et historique sur la manière dont l’homme se montre  souvent résistant et impliqué dans un vouloir-vivre qui lui permet de dépasser sa peur et lui donne la force de laisser son empreinte. Certains de ces déportés ont pu être sauvés après leur séjour dans les camps. Ils ont pu expliquer leur travail, mais pour ceux qui ont disparu, ces documents sont la preuve formelle des exactions commises par les nazis et leurs sbires à l’intérieur des camps pour contrecarrer notamment les thèses négationnistes : les photos des corps empilés, les chambres à gaz, les prisonniers cherchant un illusoire repos à l’ombre des arbres qui, eux, ont survécu à l’horreur, les photos des femmes cobayes qui exhibent leurs plaies empoisonnées, etc. Toutes ces images, encore plus que les tableaux et dessins, sont des preuves qui résonnent encore un peu à la manière de la voix-off de Michel Bouquet dans Nuit et brouillard d’Alain Resnais : « Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monde concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s’éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin. »

 

Titre original : A pas aveugles

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Durée : 110 mn


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