Pour tout réalisateur américain, le western représente une sorte de baptême du feu : un passage obligé, pour s’asseoir à la cour des grands. Même si on le dit toujours oublié, délaissé, mort, le western demeure le genre des pères fondateurs du cinéma américain ! James Mangold a voulu s’y essayer, en tentant le remake d’un film de Delmer Daves, de 1957, au titre éponyme : 3h10 pour Yuma. Avec un certaine réussite.
3h10, c’est l’horaire de départ d’un train qui doit amener le dangereux criminel Wade (Russel Crow), arrêté dans la petite ville de Bisbee, jusqu’à Yuma où l’attend le tribunal fédéral et, presque certainement, l’ exécution. Contre une prime qui peut sauver son ranch, Dan Evans, un pauvre fermier, s’engage dans l’escorte qui doit accompagner le criminel jusqu’à la gare, située à trois jours de cheval. Dans le convoi, comme dans la légendaire diligence de Stage Coach, il y a l’Amérique entière, résumée en trois personnages : un capitaliste cynique et Yankee à l’air risible, omnubilé par l’argent ; un bandit charmant et fidèle à certains principes, qui vit libre en dehors de la société ; et le monsieur tout le monde qui doit penser à s’en sortir, ayant à charge une famille et un ranch, et qui se trouve, presque malgré lui pris dans un vrai scénario de western !
C’est en effet dans la figure de Dan Evans (interprété par un convaincant Christian Bale) et dans son traitement que le film affirme son originalité par rapport au genre, et que le remake de Mangold concentre son travail. L’étonnant parcours de ce personnage n’est en effet qu’une prise en compte du spectateur dans le corps même du film (en 1957 imaginez ce que ça voulait dire ! du méta cinéma avant l’heure en quelque sorte…). Un homme normal qu’au début du film assiste, un peu éloigné, à un hold-up sans pouvoir intervenir (ayant même un peu peur) et qu’au fur et à mesure se trouve pris dans un récit de western, avec ses codes et ses canons, mais qui l’oblige à modifier sa façon de voir et de juger les actes et les personnes. Par rapport à Daves, Manglod en fait un personnage moins carré et droit (moins religieux aussi), plus ouvert aux doutes, plus complexe et donc par là, plus à même de faire figure de vecteur d’identification du spectateur. Comme lui, on est amené à se poser des questions universelles et sans doutes eternelles, concentrées ici autour d’un questionnement primordial sur la loi et la justice, comme souvent dans le westerns classiques: qu’est ce que la justice ? Est-ce qu’une la loi a un rapport réel avec ce que je pense être juste ? Dois-je agir selon la loi ou selon ce que je juge être juste ?
Par ces questions le film semble dépasser le « conte moral » et toucher directement à des questions politiques. Les personnages n’incarnent en effet que trois différents rapports possibles à l’argent, et leur actes se modifient au fur et à mesure qu’ils apprennent à considérer l’argent d’une manière différente, à en être moins aveuglés et à comprendre qu’il y a quelque chose d’autre : des principes peut être ? Qu’aurait pu être l’Amerique si elle avait choisi de ne pas tomber sous la loi des compagnies de chemins de fer ? Telle est la question que le film semble poser « entre les plans », et qui aurait mérité sans doute d’être complexifiée et approfondie.
Parmi les qualités de ce film, on se devra de souligner l’habilité avec laquelle le cinéaste embrasse toute l’histoire du genre. Le western classique se trouve contaminé par ce qui a été apporté par ses successeurs et aussi, inévitablement, par le western italien, qui habite entièrement le personnage de Charlie Prince (l’ami du criminel Wade). Interprétée par l’étonnant –et très jeune- Ben Foster, il est un de ces « seconds rôles » qui marquent, et sans doute le personnage le plus réussi du film avec son regard impitoyable et sa rapidité à dégainer.
Dans son ensemble 3h10 pour Yuma est un film déroutant, ambitieux et… désarçonnant ! Porté par un rythme dynamique, entraînant, mais sachant prendre le temps de s’arrêter si les enjeux l’exigent. La mise en scène est efficace, capable de quelques plans saisissants, même si réticente à sortir des schémas du bon film de genre et dans laquelle on pêne à trouver un regard personnel…