Wariko le gros lot

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Frais, juste, drôle, bien rythmé et pertinent, « Wariko le gros lot » est une authentique pépite du cinéma africaine.

Abidjan, au début des années 80, la vie n’est pas facile pour une grand majorité. La « conjoncture » aggrave encore la situation de surcroît. Un couple aux revenus modestes peine à subvenir aux besoins d’une famille nombreuse. Lui, Ali, travaille comme gendarme, elle, Awa, vend des pagnes au marché. Un jour, sans y croire vraiment, Awa tente sa chance à la loterie. Son mari se moque d’abord d’elle puis s’approprie l’argent – encore virtuel – lorsqu’il apprend le lendemain que son ticket a gagné. La nouvelle s’ébruite avec célérité, mais Ali égare le billet…

Cette histoire simple, bien racontée par Fadika Kramo-Lanciné sur le ton de la comédie, permet de cristalliser avec flair un cerain nombre de tensions sociales criantes. Le ticket de loterie vainqueur sonne comme une promesse et va alimenter bien des fantasmes. Le père s’imagine déjà tout endimanché avec sa famille sur une plage de sable fin ; une des filles se voit célébrée dans ses plus beaux atours… Celle-ci affirmait déjà pleine d’assurance au début du film et avant même la nouvelle du ticket gagnant : « Je ne laverai pas les habits moi. J’aurai une machine et un boy. »
Un gouffre irréversible sépare deux mondes inconciliables : « Nous les pauvres sommes loin de ce  bien-être financier auquel nous aspirons. », « Ce n’est pas un gros lot ni deux ni dix qui régleront nos problèmes. », ‘Il fourre sa main dans  les poches d’une chemise qu’il ne porte pas. » Comme le dit également un personnage secondaire : « L’amitié entre un riche et un pauvre n’est pas chose aisée ». Tout les oppose, et même la nourriture : d’un côté la sauce au gombo sec, de l’autre « la sauce au poulet du député« . Les possibilités de sortir de la  misère semblent vraiment  limitées. Lorsque le propriétaire d’une voiture relativement cossue lui demande de manière agacée s’il ne pouvait pas faire autre chose, celui-ci rétorque : « Mais quoi ? Chanter,, voler, jouer au ballon ? » Les rêves ascension se trouvent ainsi d’emblée invalidés. Le contexte économique particulierement défavorable rend la précarité de la majorité encore plus préoccupante : « Près de dix ans, pas d’augmentation de salaire et les prix qui montent, montent », « Tu sauras un jour. Le sucre a augmenté, la viande a augmenté. Tu sauras ce que ça veut dire. », « Plus d’argent ? Ceux qui en ont en ont réellement ?« . Les dialogues percutants et bien sentis mettent bien à nu des réalités aussi qu’inquiétantes que relativement inébranlables.
On peut penser au néoréalisme italien et à un film comme Le Voleur de bicyclette de De Sica dans la manière de peindre de manière fidèle et scrupuleuse un réel difficile à gérer – on peut penser à titre d’exemple à la liste des dépenses à la fin. Cependant, ici et a la différence du néoréalisme italien, la comédie reste reine – la comédie et les situations loufoques, qui prêtent à sourire et à rire. La force vitale, la résilience des personnages, la belle promesse que représentent les enfants d’Ali et d’Awa avec leur fraîcheur et leur vitalité l’emportent définitivement sur toute ombre de misérabilisme.  Quelques heureux moments musicaux ponctuent aussi cette réjouissante comédie – comme lorsque Ali apprend que le ticket de sa femme est gagnant.
L’appréciable simplicité du scénariste et réalisateur Fadila Kramo-Lanciné on la retrouve également dans la mise en scène, qui se met louablement au service de l’histoire narrée et s’y inféode sans s’exhiber outrancièrement. Les plans d’ensemble permettant de situer les protagonistes dans leur environnement sont généralement privilégiés, avec seulement une ponctuation parcimonieuse et stratégique de quelques gros plans bien sentis mettant en valeur une expression ou une situation.

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