Vincent n’a pas d’écailles

Article écrit par

Normalité et super-pouvoirs dans le premier long social-fantaisiste de Thomas Salvador.

Auréolé du Grand prix du jury au festival de Bordeaux et du Prix du public à La Roche sur Yon, le premier long métrage de Thomas Salvador arrive précédé d’une réputation flatteuse, qui semble confirmer la qualité de ses huit courts, primés pour plusieurs dans ce que le circuit compte de festivals qui importent (Pantin, Vendôme, Belfort…). Pensionnaire de la Villa Médicis en 2006, Salvador est aussi acteur de ses films – c’est encore le cas dans Vincent n’a pas d’écailles, qui élargit un peu le champ des possibles en matière de fiction française sans convaincre tout à fait. On y suit Vincent (Salvador, donc), qui a ceci de curieux qu’au contact de l’eau, ses facultés physiques se trouvent décuplées : qu’il plonge dans un lac, le voilà capable de nager à une vitesse supersonique ; qu’il pleuve, et le voilà sur le toit d’un camion sans avoir à faire beaucoup plus d’efforts que de fléchir les jambes. Une particularité qui l’entraîne à vivre dans une région de lacs et isolé des autres, à qui il n’a pas trop envie d’expliquer sa condition. Jusqu’à ce qu’il rencontre Lucie (Vimala Pons, radieuse), dont il tombe amoureux. Ce sera la première à connaître son secret, avant qu’un incident contraigne Vincent à fuir un groupe de flics lancé à ses trousses.

Si Vincent n’a pas d’écailles s’engage, dès ses premières scènes, sur un terrain poético-fantaisiste, c’est pour mieux creuser son propre territoire, quelque part entre poésie sociale et film de super-héros normal. Le décalage et l’incongruité qui se dégagent du film ne sont jamais, et c’est heureux, l’expression d’un atypisme autosatisfait (comme c’est parfois le cas chez Quentin Dupieux par exemple), mais bien le désir de se construire une identité propre. Sur la figure du super-héros en premier lieu, dont Salvador ne garde d’entrée de jeu que l’écorce (les super-pouvoirs, et encore sont-ils ici pratiques mais plutôt inutiles), évacuant les responsabilités qui vont avec : Vincent est un homme lambda, qui ne cherche qu’à vivre en toute tranquillité – pour un peu, il serait presque égoïste. Quelques clins d’oeil émaillent bien le récit – un baiser inversé pieds pendus à un arbre, référence directe à Spiderman 2 (Sam Raimi, 2004) -, mais le héros, qui n’a finalement pas grand-chose de super, est ancré dans un environnement très réaliste, et les pointes de surnaturel sont bien plus amusantes qu’impressionnantes. A ce titre, le choix de ne pas recourir aux effets spéciaux est particulièrement ingénieux, donnant au film un caractère ludique et do-it-yourself, quasi suédé, qui le rapproche du burlesque et le dédouane de n’être pas complètement épatant visuellement.

La suite se gâte un peu, quand le film prend la route d’une course-poursuite ludique façon Tati teintée d’un aspect social qui ne lui sied pas trop, empruntant la marginalité comme nouveau chemin de traverse (en gros, Vincent, personnage précaire, est victime d’une petite injustice qui le contraint à la fuite). C’est l’occasion pour Thomas Salvador de donner à sa mise en scène une belle ampleur d’un point de vue physique, mais la narration, jusqu’ici limpide, perd en cohérence. Surtout, elle traîne en longueur, évacuant toute ambiguïté du personnage, qui devient pion d’un parcours semé d’embûches rappelant parfois un jeu vidéo de plateforme. Ca reste agréable, mais fait un peu retomber la singularité d’un film qui promettait l’ouverture à un territoire inexploré et finit malheureusement un peu trop balisé.

Titre original : Vincent n'a pas d'écailles

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 78 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Journal intime

Journal intime

Adapté librement du roman de Vasco Pratolini, « Cronaca familiare » (chronique familiale), « Journal intime » est considéré à juste titre par la critique comme le chef d’œuvre superlatif de Zurlini. Par une purge émotionnelle, le cinéaste par excellence du sentiment rentré décante une relation fraternelle et en crève l’abcès mortifère.

Été violent

Été violent

« Eté violent » est le fruit d’une maturité filmique. Affublé d’une réputation de cinéaste difficilement malléable, Zurlini traverse des périodes tempétueuses où son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Cet été
violent est le produit d’un hiatus de trois ans. Le film traite d’une année-charnière qui voit la chute du fascisme tandis que les bouleversements socio-politiques qui s’ensuivent dans la péninsule transalpine condensent une imagerie qui fait sa richesse.

Le Désert des tartares

Le Désert des tartares

Antithèse du drame épique dans son refus du spectaculaire, « Le désert des Tartares » apparaît comme une œuvre à combustion lente, chant du cygne de Valerio Zurlini dans son adaptation du roman éponyme de Dino Buzzati. Mélodrame de l’étiquette militaire, le film offre un écrin visuel grandiose à la lancinante déshumanisation qui s’y joue ; donnant corps à l’abstraction surréaliste de Buzzati.