Vendeur

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Malgré son titre, « Vendeur » n’est pas un énième film sur l’horreur économique, mais plutôt sur l’horreur d’exister et les moyens d’y échapper.

Pour son premier long métrage, Sylvain Desclous, découvert par le biais de la structure Émergence créée par Elisabeth Depardieu, a la chance de travailler ici avec deux excellents acteurs pour réaliser une sorte de road movie à l’américaine, dans le bon sens du terme. Il ne faut pas s’arrêter au titre Vendeur, un peu sec, un peu trop « sciences po », discipline d’origine du réalisateur, qui pourrait faire craindre un énième film sur la crise et ses drames. Non, Vendeur ne parle pas seulement de l’horreur économique, du dur métier de vendeur, mais surtout de filiation, d’amour, de désespoir et de solitude. Gilbert Melki, acteur qu’on voit rarement mais doté d’un grand capital sympathie, incarne le rôle de Serge, un vendeur itinérant, estimé et efficace mais dont la vie d’errance trahit un grand désespoir jusqu’au jour où il va retrouver son fils, interprété par un Pio Marmaï à contre-emploi, magistral. Drôle d’idée de scénario, mais lorsqu’on pose la question à Sylvain Desclous, sa réponse dans le dossier de presse est éclairante : « L’idée m’est venue devant un reportage télévisé ayant pour sujet un vendeur "extra", qui désigne, dans le jargon des cuisinistes, un vendeur qui n’est pas salarié mais qui passe de magasin en magasin. Alors que l’angle du reportage était plutôt celui des réussites matérielles et sociales que ce métier peut engendrer, j’y ai surtout vu le prix à payer. Le vendeur dont on faisait le portrait menait en effet, dans l’exercice de son travail, une existence très solitaire, et à mes yeux, assez triste. » Dans ce monde fermé de la vente, en particulier celle des cuisines aménagées, rien ne semble ni glamour, ni romantique : centres commerciaux sans âme, vendeurs entraînés à l’américaine, solitude des hôtels et des bars de passage. Pourtant, grâce à la lumière d’Emmanuel Soyer et à la musique (certains passages sont des standards américains qui font penser à un western ou à un film noir), le jeune réalisateur parvient à donner à ce film une âme et une profondeur inattendues. Pio Marmaï s’en étonne même : « Quand j’ai vu Vendeur, j’ai été surpris. […] Je trouve qu’il s’en dégage une certaine forme de poésie, qui ne m’était pas apparue à la lecture du scénario. »

Serge est un vendeur exceptionnel, itinérant, solitaire, spécialisé dans la vente des cuisines et il fait son métier avec beaucoup de rigueur finalement, tout en composant un personnage qui improvise à chaque fois dans le style « poor lonesome cowboy ». Le propos du réalisateur, à ce niveau, n’est pas encore une fois de nous faire comprendre que le libéralisme engendre des inégalités, de la misère et de l’exploitation humaine. Tout cela, on le sait. Ce n’est pas son but premier. Sylvain Desclous voudrait comprendre, en outre, ce que ce métier a fait comme ravages sur son personnage et il est vrai que Gilbert Melki s’y prête à la perfection. Coureur de prostituées, alcoolique et cocaïnomane, on pourrait reprocher au réalisateur et scénariste d’avoir poussé le bouchon un peu loin, mais il s’en défend en parlant de fiction. Son film, on le répète, n’est ni un documentaire, ni un film naturaliste. Même si les acteurs ont dû entrer dans la peau de leurs personnages, le scénario n’oublie jamais qu’ils sont avant tout des hommes avec leurs problèmes et leur malheur. « Parmi les métiers que j’ai exercés avant d’être acteur, déclare Gilbert Melki, j’ai fait celui de vendeur, dans un magasin de vêtements du Sentier. J’avais dix-huit ou dix-neuf ans. À cette époque-là, j’ai connu beaucoup de gens qui faisaient les foires et les marchés, au cours d’interminables tournées. Souvent, c’étaient des gens qui se la jouaient, étaient dans la flambe, mais qui, en fait, avaient une vie d’une grande solitude. » C’est pourquoi il parvient si bien à donner à son personnage, non pas le comportement étriqué d’un vendeur purement matérialiste, mais l’air décadent et passionnément attachant d’une sorte de rock-star sur le retour, qui va de ville en ville comme s’il était en tournée. Pour le climat, Sylvain Desclous déclare : « Avec mon chef opérateur, on a visionné beaucoup de films, surtout des films américains, comme L’Épouvantail de Jerry Schatzberg ou The Yards de James Gray, ou encore Under the Skin de Jonathan Glazer, qui font souvent la part belle au plan large, et donc au décor. » On pense aussi par moment à Tandem de Patrice Leconte (1987), sauf qu’ici Serge va se rapprocher de plus en plus de son fils Gérald pour enfin le sauver et se sauver par la même occasion. Beau premier film.

 

Titre original : Vendeur

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Durée : 89 mn


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