Serge est un vendeur exceptionnel, itinérant, solitaire, spécialisé dans la vente des cuisines et il fait son métier avec beaucoup de rigueur finalement, tout en composant un personnage qui improvise à chaque fois dans le style « poor lonesome cowboy ». Le propos du réalisateur, à ce niveau, n’est pas encore une fois de nous faire comprendre que le libéralisme engendre des inégalités, de la misère et de l’exploitation humaine. Tout cela, on le sait. Ce n’est pas son but premier. Sylvain Desclous voudrait comprendre, en outre, ce que ce métier a fait comme ravages sur son personnage et il est vrai que Gilbert Melki s’y prête à la perfection. Coureur de prostituées, alcoolique et cocaïnomane, on pourrait reprocher au réalisateur et scénariste d’avoir poussé le bouchon un peu loin, mais il s’en défend en parlant de fiction. Son film, on le répète, n’est ni un documentaire, ni un film naturaliste. Même si les acteurs ont dû entrer dans la peau de leurs personnages, le scénario n’oublie jamais qu’ils sont avant tout des hommes avec leurs problèmes et leur malheur. « Parmi les métiers que j’ai exercés avant d’être acteur, déclare Gilbert Melki, j’ai fait celui de vendeur, dans un magasin de vêtements du Sentier. J’avais dix-huit ou dix-neuf ans. À cette époque-là, j’ai connu beaucoup de gens qui faisaient les foires et les marchés, au cours d’interminables tournées. Souvent, c’étaient des gens qui se la jouaient, étaient dans la flambe, mais qui, en fait, avaient une vie d’une grande solitude. » C’est pourquoi il parvient si bien à donner à son personnage, non pas le comportement étriqué d’un vendeur purement matérialiste, mais l’air décadent et passionnément attachant d’une sorte de rock-star sur le retour, qui va de ville en ville comme s’il était en tournée. Pour le climat, Sylvain Desclous déclare : « Avec mon chef opérateur, on a visionné beaucoup de films, surtout des films américains, comme L’Épouvantail de Jerry Schatzberg ou The Yards de James Gray, ou encore Under the Skin de Jonathan Glazer, qui font souvent la part belle au plan large, et donc au décor. » On pense aussi par moment à Tandem de Patrice Leconte (1987), sauf qu’ici Serge va se rapprocher de plus en plus de son fils Gérald pour enfin le sauver et se sauver par la même occasion. Beau premier film.