Useless reprend les choses là où Dong (2006) les avait laissées. Les deux films suivent les différentes étapes du travail d’un artiste, une créatrice de mode pour le premier, un peintre pour le second. Aussi, ils mettent tous deux bien plus en avant le cadre dans lequel évolue leur personnage principal que la personnalité propre de ce dernier. Enfin, leur approche relève avant tout de l’essai filmique plutôt que du genre documentaire proprement dit.
Sous son aspect le plus classique, le documentaire consiste à ajuster les images de la réalité à la manière d’un discours didactique, informatif ou propagandiste. Il n’en est rien, ou peu s’en faut, dans les films du cinéaste chinois. Celui-ci ne cherche pas à nommer les choses mais tout simplement à les regarder et à les écouter, à les considérer comme des formes audiovisuelles et à les enregistrer comme telles en images. Il ne semble pas s’intéresser à la réalité des objets qui l’entourent mais aux remous qu’ils provoquent. Les documentaires de Jia Zhang-Ke n’emploient jamais de voix off explicative ou commentatrice mais fonctionnent uniquement sur les jeux de cadrage, de montage et de mise en scène. Trichant un peu avec la réalité du monde qu’il filme, le réalisateur compose ses plans comme des tableaux vivants. D’un autre côté, le montage, loin de véhiculer un discours net, précis et déterminé, privilégie les rapports analogiques et métaphoriques. Jia Zhang-Ke ne réalise pas des documentaires au sens strict du terme mais des œuvres flottantes, versatiles et onduleuses.
On peut néanmoins constater une différence importante entre Dong et Useless : si le peintre présenté dans le premier est présent tout au long du film, le portrait de la styliste dans le nouveau long-métrage est encadré par deux épisodes qu’il complète et nuance. La présentation de la créatrice de mode fait partie d’un ensemble plus vaste qui consiste à brosser un panorama des différents modes de production du textile chinois. Le film aborde respectivement le secteur industriel, le monde de la mode et le domaine artisanal. Placée au cœur du documentaire, la partie consacrée à la styliste et à sa gamme de vêtements usés n’en est que plus intéressante.
La démarche du réalisateur, de fait, se veut subtile : ne s’attardant pas sur les conditions de travail dans lesquelles s’effectuent chacun de ces secteurs d’activités, elle consiste à capter les différents fondements dans lesquels ils sont conçus. Il s’agit de dégager les raisons d’être de ces activités dans leur manière d’appréhender leur propre production et de se demander sous quel rapport le fabriquant considère le fruit de son labeur.
Se déployant dans une réalité tout à la fois concrète et abstraite, Useless parvient à élargir le simple mode du constat audiovisuel vers des formes philosophiques riches et complexes. Filmer les différents modes de productions du textile chinois n’est donc pas pour Jia Zhang-Ke une fin en soi. Sa démarche permet en réalité de poser les termes d’une réflexion profondément pertinente sur les relations conceptuelles nouées entre les hommes et leurs vêtements dans nos sociétés consuméristes.
Jia Zhang-Ke signe avec Useless une œuvre ouverte, intelligente et engagée, poétique et puissante.