Un journaliste, Michel Dolannes, décide de quitter le journal où il travaille pour lancer son propre périodique afin de mieux dénoncer, et en toute liberté, les travers du système établi. Il mettra à jour de nombreux scandales liant les élites politiques, sportives, et financières. Non sans risques.
Adapté d’un roman signé Horace McCoy (auteur américain également connu pour On achève bien les chevaux, que Sydney Pollack mettra en scène pour le cinéma en 1969), Un Linceul n’a pas de poches, seizième film de cet inénarrable franc-tireur de notre 7ème Art hexagonal que demeure Jean-Pierre Mocky, reste l’une de ses œuvres les plus ambitieuses. En premier lieu, par sa durée, étonnante dans sa filmographie, où les polars, et autres comédies s’alignent davantage sur 80 minutes en moyenne. Mocky lui-même estimait qu’un long-métrage ne devait pas excéder 82 minutes. Pourquoi, alors, ces deux heures et quelques minutes ? Probablement en raison de la consistance du roman, des nombreuses actions à retranscrire sur l’écran, et de la kyrielle des personnages présents dans le livre puis dans son adaptation. Et pourtant, aucune lassitude, aucun sentiment de longueur ou de trop-plein : bien au contraire, Un Linceul n’a pas de poches conserve son dynamisme.
Un dynamisme visible dès la scène du générique : dans une zone industrielle, à proximité d’un cimetière, un ouvrier se voit écrasé par une Rolls conduite par un fils à papa en état second, sans aucune émotion face à l’homicide dont ils est responsable, et narguant les policiers qui l’arrêtent. Le ton est immédiatement donné, accompagné par une musique facilement identifiable : « Dolannes Melody », où la flûte de Pan et la trompette s’unissent pour instiller une mélancolie qui ne quittera ni le protagoniste du long-métrage, ni les spectateurs.
Mocky n’a pas son pareil pour filmer des lieux, des ambiances : le film se déroule majoritairement la nuit, entre deux rencontres secrètes, afin de financer le journal Le Cosmopolite, de trouver une imprimerie clandestine, ou de pilonner le dit journal par des tractations entre gens de la haute, ou monnayer des gros bras mettant à sac, voire utilisant des méthodes inavouables dans le but d’éliminer les gêneurs participant à la rédaction ou l’impression du périodique satirique. Imprimeries clandestines, bureaux improvisés dans des bâtiments anciens, antichambres de l’élite, ruelles menaçantes, éclairages nocturnes agressifs, chambres de maisons closes, escaliers étroits, habitacles de voitures : les intérieurs comme les extérieurs demeurent synonymes d’inquiétude, d’étouffement, voire de mort prochaine. Sociale ou physique.
Les personnages évoluent dans ce monde interlope, tragique, empli de prévarication et de révélations à étouffer dans l’œuf. Mocky nous convie, avec un talent de la satire tirant à vue sur tous les côtés et sur chaque bord, à une fresque hyperbolique, certes, mais ô combien exquise, de la France post-pompidolienne et pré-giscardienne dans sa variété dantesque de magouilles et de cachotteries dans plusieurs domaines : football, pédophilie, homicides au volant, avortements clandestins, parties fines, compromis entre patrons et responsables syndicaux, affaires sensibles tues dans la presse en raison de l’importance des sponsors. D’aucuns pourraient reprocher à Mocky cet aspect excessif dans ce règlement de comptes filmique : le fameux « tous pourris ». Mais la réalité est-elle différente ?
Un Mocky comporte aussi cet invariant : son casting. Et ici, mazette ! Mocky en journaliste Don Quichotte comparable aux personnages qu’il incarna dans Solo ou L’Albatros, avec un sens de l’anti-jeu et du détachement caustique face aux autres personnages. Galabru en patron véreux du journal lâché par le protagoniste, Daniel Gélin en financier ambigu, Michel Lonsdale en notable tourmenté face à Sylvia Kristel, sa fraîche et sensuelle épouse et ex-maîtresse du journaliste, Michel Constantin en syndicaliste volontaire, Myriam Mézières en groupie touchante de Dolannes, Michel Serrault en politicien marron et déterminé, Jean Carmet en commissaire revenu de tout mais auxiliaire précieux et grand amateur de vin, Jean-Pierre Marielle en toubib mielleux, sans oublier les seconds couteaux aux faciès et caméos importants dans l’économie narrative et la grammaire cinématographique de Mocky : Zardi, Rémoleux, Abeillé, Berri, et Jess Hahn. Mentions spéciales à deux grands comédiens : Christian Duvaleix, à contre-emploi dans le rôle d’un ami et collègue, Sancho Pança de Dollanes; et Francis Blanche, dont ce fut la dernière apparition à l’écran en anarchiste propriétaire d’une imprimerie clandestine, qui se voit parti comme en 37 et 68. Francis Blanche, que son ami Roger Carel doublera lors de la post-synchronisation du long-métrage. « Viva la muerte », dernière réplique d’un acteur et d’un homme prolifique.
Un Mocky finalement ambitieux, véritable pamphlet pour la liberté de la presse, à la manière d’un Fuller ou d’un Rosi version Voltaire et Balzac. Tout le monde en prend pour son grade, la charge est virulente et la succession de portraits réjouissante, portés par des comédiens d’exception, jusque dans le moindre second rôle. La mise en scène colle à la peau des personnages (caméra épaulé, plans rapprochés fréquents), les dialogues restent percutants, et la musique, solo de trompette entêtant avec flûte de pan, illustre avec intensité, tristesse, et fatalité, cette quête de ce qui constitue l’inaccessible étoile de la vérité. Un mariage heureux de la satire et de la tragédie. Du très très bon Mocky. Du nanan.
Un Linceul n’a pas de poches (1974). Sortie Bluray le 07/11 chez ESC.
Contenu et Bonus du bluray :
Introduction au film par Jean-Pierre Mocky
Entretien autour du film avec Eric Le Roy
Entretien avec Pacôme Thiellement
« Le film politique, un problème de medias », entretien avec Arnaud Mercier, politologue et sociologue des medias
Galerie photos
Les critiques