The Man in the Moon conclut magnifiquement la belle filmographie de Robert Mulligan et constitue une belle synthèse des thèmes qui courent dans ses œuvres les plus fameuses. Le cadre sudiste et la période de l’été se prêtent ainsi souvent chez Mulligan à des récits sur l’enfance, l’adolescence est une perte d’innocence où l’on découvre la face cruelle du monde des adultes (le sud ségrégationniste de Du silence et des ombres – 1962), sa propre part d’ombre (les jumeaux tourmentés de L’Autre – 1972) et l’ivresse des premiers émois amoureux et charnels dans Un été 42 (1971). On retrouve donc tous ces éléments et cette veine nostalgique dans Un été un Louisiane, coming of age où l’on suit la jeune Dani (Reese Witherspoon) dans la Louisane rurale de 1957.
C’est dans la véranda de la maison familiale que s’ouvre le film, la langueur de cette chaude soirée révélant la complicité et les différences entre la cadette de 14 ans Dani et son aînée Maureen (Emily Warfield). La candeur et l’espièglerie de Dani nonchalamment allongée dans une pose toute enfantine, s’oppose ainsi aux doutes de Maureen s’apprêtant à entrer à la fac et dont la féminité affirmée se révèle alors qu’elle se déshabille. La nature de garçon manqué de Dani et son corps encore longiligne d’enfant face à la sensualité retenue et les formes de sa sœur participe à cette caractérisation que Robert Mulligan définit dans cet environnement rural. Campagne et province restent un terrain de jeu pour Dani quand Maureen à l’inverse y ressent l’oppression du désir pressant des hommes, de l’adulte libidineux à son petit ami en rut. La trajectoire s’inverse étonnamment lorsque Dani témoigne avec une touchante maladresse lors de ses premiers émois amoureux envers Court (Jason London), le fils plus âgé des voisins quand Maureen se ferme justement à cet attrait charnel car en quête d’une vraie romance. Une nouvelle fois Mulligan l’exprime par l’image, érotisant étonnamment Dani qui court se baigner nue et fera sous cette forme la rencontre de Court. Reese Witherspoon dans son premier rôle est merveilleuse pour exprimer toutes ces nuances, un simple chewing-gum craché ou mâché avec détachement situant cette frontière ténue entre l’enfance et la féminité adulte. La bascule de l’une à l’autre se fait d’ailleurs en situation, un chahut innocent durant une baignade devenant soudain un moment de proximité trouble entre Court et Dani.
Cette confusion se traduit également par le rapport changeant au parent. Le père (Sam Waterston) se dote d’une présence autoritaire mais compréhensive pour l’aînée Maureen (amusante scène où il malmène son petit ami avant le bal) alors qu’il ne semble n’exister que pour imposer des règles à sa cadette Dani. Sam Waterston tout en nuances impose une figure paternelle « à l’ancienne », aussi rassurante dans sa virilité qu’empruntée dans l’expression de ses sentiments. Cela donnera lieux à deux élans aussi brusques que différents et qui expriment le cheminement du personnage, révélant son désarroi par la violence puis par une vraie tendresse maladroite. Le temps de l’été est celui des espoirs et désillusions à travers les destinées des deux sœurs, le dépit amoureux de l’une accompagnant cruellement les premières étreintes de l’autre. Tout cela participe à un même ordre des choses, les fougères masquant la course effrénée et les yeux embuées de Dani rejetée dissimulant également les corps nus de Maureen et Court. Robert Mulligan filme avec autant de sensibilité l’attente contrariée de Dani pour un simple baiser que la révélation amoureuse de Maureen dans une scène magnifique où le rapprochement se fait en deux temps.
La proximité sera coupable et douloureuse ou apaisée et sensuelle selon le couple. Le gros plan ne sert que la gêne, le malaise et le dépit entre Dani et Court et les plans d’ensemble le fossé (d’âge et de sentiment) qui les sépare. Ce même gros plan capture le désir et l’attente pour Court et Maureen et les plans larges la plénitude de leur relation avec cette magnifique balade nocturne près du lac. Le drame final signe la rupture puis la réconciliation des deux sœurs qui cette fois s’ouvriront ensemble à une même situation douloureuse pour mieux grandir. L’épilogue dans la véranda rejoue l’ouverture mais avec une part de cette innocence initiale effacée par les épreuves mais un beau plan final montre que certaines choses ne changent, comme ce « Man in the Moon » qui veille toujours sur elles.