Un conte de Noël

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Arnaud Desplechin n´aime pas la fête des mères. Tant pis ! « Un conte de Noël » brille, surprend, émeut et hisse son auteur au-dessus de la liste des cinéastes français. De l´audace, toujours de l´audace, encore de l´audace. Chef d´oeuvre !

Le vent s’est toujours levé dans la bonne direction. Dans Roubaix, cette petite bise continue de calmer les ardeurs des nombrilistes, des poltrons et surtout des rongeurs d’âmes. Chacun a ses raisons d’y croire, mais tous refusent de clamer leur ras-le-bol ou bien leur innocence. Silence pénétrant qui vrombit, dépoussière et claque les joues roses des belles femmes en fleur, des maris esseulés et des rejetons appauvris. Les conclusions meurtrières se ramassent à la pelle et tous les décès sont vite oubliés. Dure loi de l’attraction qui plonge des familles entières dans une amnésie volontaire, dans un rejet de l’autre et dans des regards vides de sens. Le temps s’écoule, les congés se paient facilement et les fêtes de fin d’année reflètent étrangement les règlements de comptes conséquents. Un conte de Noël, dernière œuvre d’Arnaud Desplechin, épouse parfaitement cette triste finalité qui consiste à dynamiter les conventions muettes des familles sanglantes.

Point de danse du ventre, aucune envolée philosophique ni intellect forcé. Desplechin filme des visages torturés et des mots cloisonnés. Toujours avec une rapidité d’exécution qui donne le vertige, qui prend le spectateur par les épaules et qui lui susurre à l’oreille des phrases salaces, des trucs immondes et des vérités dérangeantes. La beauté de ce cinéma rentre-dedans réside surtout dans une mise en scène qui ne peut que décoiffer les retardataires, les obligeant à se poser quelques minutes et à tenter de comprendre les raisons qui poussent Junon (une Deneuve royale) à vomir sur son fils Henri (magistral Amalric). Séquence qui restera comme l’une des plus cinglantes que le cinéma français ait produite depuis des décennies, même si son auteur avait déjà, dans Comment je me suis disputé, utilisé la férocité des mots et la raideur du jeu d’acteurs dans la séquence de la quincaillerie où Amalric et Thibaut de Montalembert conversaient sur les fellations et autres sodomies dans leurs rapports sexuels.

Un conte de Noël est une œuvre fondamentale dans la filmographie de Desplechin, car elle annonce une nouvelle ère, une nouvelle pensée chez cet auteur qui a toujours fait le même film et ce depuis La Sentinelle. Effectivement, plus de complots ni de capture d’écran d’un quotidien chez les bobos, mais toujours cette capacité à briser l’espace, à triturer les images, à étrangler ses acteurs par le biais d’un montage mordant et qui ne donne pas le temps de respirer. Le spectateur s’essouffle tandis que la narration dense d’Un conte de Noël tournoie dans son esprit. Toujours être attentif, ne jamais mordre la poussière et lever inlassablement la tête pour mieux cerner cette raison de vivre. Comme dans une soirée bien arrosée, il faut garder l’équilibre, ne pas se plier aux exigences des autres, défaut que seul Henri, personnage shakespearien, possède en son for intérieur.

 
 

 
 

Subtilement interprété par Mathieu Amalric, Henri est le faux frère de Paul Dédalus (héros de Comment je me suis disputé). Il garde en lui une sensibilité qui le rend étrangement démoniaque. Desplechin aime cet homme dépouillé, ce tas d’immondice en quête d’amour et le pousse dans une sale guerre, celle des familles décomposées et des souvenirs honteux. Superbe scène de baston entre Girardot et Amalric qui étonne dans un premier temps (Desplechin, violent ?) et ravit le spectateur, agacé par le comportement de ce dadais dandy. La force d’Un conte de Noël provient de ce double ressentiment, de ce fil ténu, de cette vitesse folle et surtout de cette inadaptation. Soit Henri est bon, soit il pue. Desplechin ne répond jamais et la quantité d’interrogations est envahissante. L’auteur épluche son fruit défendu et coupe des parts aussi fines que le triangle amoureux représenté par Poupaud, Mastroianni et Capelluto, aussi juteuses que la décision de Deneuve de ne pas étaler ses sentiments de femme laminée par une mort certaine et aussi sucrées que ce beau texte de Nietzsche lu par un Roussillon imposant.

Un conte de Noël sent les odeurs d’un bois pourri, rongé par l’ombre de la Mort qui plane au-dessus de corps élancés. Desplechin, une fois de plus, frappe fort et nous convie à une Party aussi vacillante que gracieuse. Comme disait le poète, What’s goin’on!

Titre original : Un conte de Noël

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Durée : 90 mn


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